Mais il devoit aller plus loin, & dire que non-seulement les passions feintes nous plaisent dans la Tragédie, par celles qu’elles allument ou qu’elles réveillent en nous ; mais qu’on y goûte encore la satisfaction de voir ses foiblesses justifiées, authorisées, ennoblies, soit par de grands exemples, soit par le tour ingénieux & la morale séduisante dont le Poëte se sert souvent pour les déguiser, pour les colorer, pour les peindre en beau, & les faire paroître au moins plus dignes de compassion que de censure. […] C’est un problême de Morale qui paroîtroit d’abord plus difficile à résoudre, si l’on n’en trouvoit le dénouement dans le caractere de la plûpart des hommes, & dans la nature des vertus, que l’on peint ordinairement sur le Théâtre. […] La Comédie nous fait passer agréablement notre temps, lorsqu’elle peint de telle maniere les mœurs vicieuses de notre siécle, qu’elle nous les rend méprisables ; le spectateur qui se reconnoît rarement dans les portraits qu’il y voit, s’éleve dans son esprit, au-dessus de tous ceux qu’il croit que le Poëte a voulu peindre, & il jouit du plaisir de leur appliquer ce qu’ils lui appliquent peut-être à leur tour, ainsi comme Despréaux l’a dit dans son Art Poëtique : Chacun peint avec art dans ce nouveau miroir, S’y voit avec plaisir, ou croit ne s’y point voir. […] Peindre les vices pour nous en montrer le péril, & nous en faire craindre les suites malheureuses, émouvoir notre ame pour l’affermir, & comme pour l’endurcir par cette émotion même, en lui donnant une trempe plus forte & plus vigoureuse, c’est le moyen de rendre la Poësie utile. […] Les paroles sont les couleurs, ou si l’on veut, le pinceau du Poëte, c’est par elles qu’il imite, & qu’il peint dans notre ame tout ce qu’il entreprend de représenter ; mais 1°.