/ 303
30. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE VIII. De la Folie. » pp. 163-179

C'est à peu près tout le mérite de Scarron, chez qui la création ou l'assemblage de quelques mots, ou l'union de quelques idées qui ne sont pas faites l'une pour l'autre, présentent un burlesque, qui après avoir fait rire deux o trois fois, ennuie et le fait mépriser : mérite méprisable dont se piquent ordinairement les Poètes comiques, qu'ils appellent talent de peindre par les sons, par mots pittoresques, et qu'ils empruntent le plus souvent des harangères, nation féconde en sobriquets, la plupart aussib as que celles qui les donnent et ceux qui s'en servent. […] L'art dramatique n'est que l'art de ramasser, de combiner, d'inventer, de lier des folies, et l'art de l'Acteur celui de les peindre, et le plaisir du spectateur de les voir, de les goûter, de s'en amuser, ou l'art d'embellir, de dire et de faire agréablement des extravagances. […] Paul lui-même, et plusieurs livres de l'Ecriture, nomment par leur nom et peignent par leurs vrais traits les actions les plus infâmes. […] C'est une folie de se fatiguer, se tourmenter, crier, pleurer, gémir, contrefaire sa voix, chercher des attitudes, faire des mouvements, pour représenter des contes, peindre des folies, des vices, une courtisane, un fripon, un misérable, un ivrogne, se casser la tête, mettre son esprit à la torture, pour trouver ce qu'a pu dire une Reine des Scythes, un Empereur dans la lune, un Grec amoureux à sa Laïs, un Pourceaugnac à son Apothicaire : « Turpe est difficiles habere nugas stultus labor est ineptiarum. […] De là des danses de toute espèce, légères, graves, majestueuses, badines, bouffonnes, etc. qui peignent les mouvements de l'âme, des danses de Guerriers, de Bergers, de Paysans, de Furies, de Dieux, de Démons, de Cyclopes, d'Indiens, de Sauvages, de Mores, de Turcs, qui caractérisent les professions et les peuples ; de là ces mouvements compassés de la tête, des pieds, des bras, des mains, etc. qui tous doivent se réunir de concert pour former les traits du tableau ; de là tous les divers habits et parures analogues à ce qu'on veut représenter, mais qui tous élégants, dégagés, propres, conservent et rendent saillante la taille et la forme du corps, qu'ils laissent admirer ; de là cette souplesse moelleuse, cette mobilité coulante, cette marche gracieuse, cette symmétrie des pas, ces figures entrelaçées, cette espèce de labyrinthe où à tout moment on se perd et on se retrouve ; de là ces innombrables combinaisons de plusieurs danseurs qui se cherchent, se fuient, s'embarrassent, se dégagent, se parlent par gestes, varient à tous les moments la scène, mais qui dans tous leurs mouvements les plus compliqués, toujours soumis au coup d'archet, semblent n'agir que par la même impulsion.

/ 303