Disons encore plus à la louange de notre espèce, & cette réfléxion regarde particulièrement la Tragédie ; par un penchant naturel, qui subsiste toujours en nous malgré nos vices, & qui prouve que nous sommes faits pour vivre en société ; ce n’est pas seulement aux incidens, aux malheurs réels, que nous voyons arriver sous nos yeux, que nous prenons vivement part ; dès qu’on nous peint avec des couleurs vraisemblables, ou avec un crayon énergique, des revers auxquels l’on peut être sujet, nous sommes émus & affectés. […] Les Personnages qu’on y voit agir sont factices, il est vrai ; mais leurs ridicules & leurs passions se trouvent dans la plus-part des hommes ; l’on ne saurait donc manquer d’être frappé d’un tableau qui peint au naturel nos erreurs & nos travers. […] L’Avare rit de la peinture qu’on fait de lui-même, & croit se moquer de son voisin ; la Coquette applaudit à son portrait, & dit tout haut à l’oreille de cinq ou six personnes discretes, qu’elle connaît bien là son amie ; le petit Maître sourit à l’esquisse de ses ridicules, & s’écrie, que le Marquis un tel est peint à ravir. […] Il s’en suit que la Comédie ne saurait peindre trop fortement les caractères qu’elle va chercher dans le monde ; plus leurs traits seront marqués, plus ils seront chargés de ridicules, & plus ils réjouiront les Spectateurs.