C'est pourquoi quelque honnêteté qu'on se puisse imaginer dans l'amour d'une créature mortelle, cet amour est toujours vicieux et illégitime, lorsqu'il ne naît pas de l'amour de Dieu ; et il n'en peut naître lorsque c'est un amour de passion et d'attache, qui nous fait trouver notre joie et notre plaisir dans cette créature. Un Chrétien qui sait ce qu'il doit à Dieu ne doit point souffrir dans son cœur aucun mouvement, ni aucune attache de cette sorte sans la condamner, sans en gémir, et sans demander à Dieu d'en être délivré : et il doit avoir une extrême horreur d'être lui-même l'objet de l'attache et de la passion de quelque autre personne, et d'être ainsi en quelque façon son idole, puisque l'amour est un culte qui n'est dû qu'à Dieu, comme il ne peut être honoré que par l'amour. « Nec colitur nisi amando. » C'est ce qui fait voir qu'il y a une infinité de femmes qui se croient innocentes, parce qu'elles ont en effet quelque horreur des vices grossiers, et qui ne laissent pas d'être très criminelles devant Dieu, parce qu'elles sont bien aises de tenir dans le cœur des hommes une place qui n'appartient qu'à Dieu seul, en prenant plaisir d'être l'objet de leur passion. Elles sont bien aises qu'on s'attache à elles, qu'on les regarde avec des sentiments, non seulement d'estime, mais de tendresse ; et elles souffrent sans peine qu'on le leur témoigne par ce langage profane que l'on appelle cajolerie, qui est l'interprète des passions, et qui dans la vérité est une sacrilège idolâtrie.