Ce premier Tragique avait pour ainsi dire raproché les passions des Anciens, des usages de sa Nation ; Racine, plus naturel, mit au jour des Pièces toutes Françaises : guidé par cet instinct national qui avait fait applaudir les Romances, la Cour-d’Amour, les Carrousels, les Tournois en l’honneur des Dames, les Galanteries respectueuses de nos Pères, il donna des Tableaux délicats de la vérité de la passion qu’il crut la plus puissante sur l’âme des Spectateurs pour lesquels il écrivait. […] Nous ne reconnaissons pas nos amis dans les Personnages du Poète Tragique : mais leurs passions sont plus impétueuses ; & comme les loix ne sont pour ces passions qu’un frein très-faible, elles ont bien d’autres suites que les passions des Personnages du Poète Comique. […] Quand je dis que la Tragédie doit purger les passions, j’entens parler seulement des passions vicieuses & préjudiciables à la Société ; & on le comprend bien ainsi. Une Tragédie qui donnerait du dégoût des passions utiles à la Société, telles que sont l’amour, l’amour de la partie, l’amour de la gloire, la crainte du deshonneur, serait aussi vicieuse qu’une Tragédie qui rendrait le vice aimable. On ne saurait blâmer les Poètes de choisir pour sujet de leurs imitations les effets des passions qui sont les plus générales, & que tous les hommes ressentent ordinairement : or de toutes les passions, celle de l’amour est la plus générale ; il n’est presque personne qui n’ait eu le malheur [ou le bonheur, c’est selon] de la sentir, du moins une fois en sa vie.