Je veux donc ici, sans cependant passer pour prévaricateur d’une si bonne cause, vous avoüer de bonne foi, que ces spectacles, dont je pretends vous détourner, ne sont pas, à beaucoup prés, si criminels que ceux des Anciens, contre lesquels presque tous les Peres de l’Eglise, & entre-autre Tertulien, S. […] Et pour nous arrêter à la Comedie, qu’on prétend être la plus honnête, aprés qu’on en a banni tout ce qui l’a tant décriée dans les siecles passez ; je maintiens qu’elle est encore un piege, & une occasion prochaine de peché pour ceux qui ont quelque disposition à recevoir le poison qui est si bien déguisé. […] Si donc, ceux qui ne ressentent déja que trop les atteintes de cette passion, cherchent encore à l’exciter par les yeux & par les oreilles, si au lieu de fuir les objets, qui peuvent rallumer un feu qui n’a jamais été bien amorti, ils les recherchent, & passent les deux ou trois heures, à voir & à entendre ce qu’il y a de plus capable de l’enflamer ; qui peut douter que ces personnes ne soient dans l’occasion prochaine du peché, & par consequent ne pechent effectivement de la rechercher ? […] N’est-ce pas plûtôt déja une marque qu’on y est fortement attaché, que d’y demeurer avec plaisir, d’y courir avec empressement, d’y passer les jours & les nuits, & de n’avoir point de plus grand divertissement ? […] Certes si vous en jugez autrement, c’est la passion que vous avez pour ces sortes de spectacles, qui vous fait fermer les yeux au danger present ; & je ne doute point que vous n’en portassiez tout un autre sentiment, si je pouvois vous découvrir un autre spectacle, plus triste, & plus lugubre, qui est ce qui se passe dans le cœur de ceux qui sortent de ces assemblées, l’esprit rempli de ce qu’ils ont vû & entendu, qui approuvent la vengeance, qu’on leur a fait paroître si juste, qui entrent dans les sentimens d’orgueil & d’ambition, qu’on leur a fait passer pour une grandeur d’ame, & sur tout, qui sont touchez des disgraces d’un Amant maltraité d’une personne fiere, qui n’a pas répondu aux vœux ni aux soins de celuy qui luy a marqué une fidelité, & un attachement si inviolable, ainsi que Saint Augustin le témoigne de luy-même ; on donne des larmes à son infortune, & une feinte passion vivement representée, ne manque guere d’en inspirer une veritable.