/ 577
370. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre III. Aveux importans. » pp. 83-110

Jurieu cependant est un ennemi déclaré du théatre, il dit l. 2, c. 3 : une personne qui revient du bal ou de la comédie est très-mal disposé à la dévotion ; on a beau dire qu’on a rendu le théatre chaste, qu’on n’y entend plus que des leçons de vertu, que les passions n’y paroissent animées que pour la défense de l’honneur, qu’on n’y produit que des sentimens de générosité ; pour moi je dis que les vertus du théatre sont des crimes selon l’esprit de l’Évangile, & que si on y entendoit quelque chose de bon, il est gâté par l’impureté des lèvres & des imaginations à travers lesquelles il passe. […] Cette idée est une belle chimère que les femmes ont intérêt d’accréditer pour couvrir leur passion d’un voile, & faire croiré qu’aussi respectables que belles, elles sont de ces Venus admirables, qui renfermées dans cette métaphisique de sentimens, joignent aux grâces & à la beauté dont elles se croyent toujours richement pourvues, une vertu sublime, inaccessible aux tentations de la volupté grossière, que quoique tout passe par le corps avant d’arriver à l’esprit, leur esprit & leur cœur ne s’y arrêtent jamais ; que quoique leur toilette ne produise & ne puisse produire que des tentations charnelles, ce n’est pourtant que pour l’esprit qu’elles offrent des nudités, & mettent du rouge ; que ce n’est qu’à l’esprit qu’on adresse la tendresse du chant, le feu des regards, les attitudes, la danse, le langage du geste. […] Qui s’attendroit qu’au milieu de cette multitude d’histoires galantes que débitent cinq ou six amans avec leur maîtresses qui passent quelques jours dans une maison de campagne à jouer, à se promener, à boire & manger, à dire des choses tendres, en un mot des journées amusantes, c’est-à-dire, au milieu de toutes les frivolités dont leur cœur & leur tête sont remplies, on s’avisat de traiter des affaires de la Régale & de Boniface VIII, de faire le procès au Pape Innocent XI de rapporter & d’éplucher les brefs qu’il écrivit, & ce que fit alors contre lui le Clergé de France : risum teneatis amici  ? […] C’est à la vérité suivre le cours de la nature ; mais ne pouvoit-on pas se passer de le répéter si souvent ?

/ 577