Nous sentons tous que nous ne sommes pas les maîtres de notre sort ; que c’est un Etre supérieur qui nous emporte quelquefois, & le tableau d’Œdipe, n’est qu’un assemblage de malheurs, dont la plupart des hommes ont éprouvé au moins quelque partie ou quelque degré. Ainsi, en voyant ce Prince, l’homme faible, l’homme ignorant l’avenir, l’homme sentant l’empire de la Divinité sur lui, craint, tremble pour lui-même, & pleure sur Œdipe : c’est l’autre partie du Tragique, la pitié qui accompagne nécessairement la terreur, quand celle-ci est causée en nous par le malheur d’autrui. […] Il réunit toutes les parties ; le tendre, le touchant, le terrible, le grand, le sublime : mais ce qui domine sur toutes ses qualités, & ce qui les embrasse chez lui, c’est la grandeur & la hardiesse. […] Une Tragédie qui donnerait du dégoût des passions utiles à la Société, telles que sont l’amour, l’amour de la partie, l’amour de la gloire, la crainte du deshonneur, serait aussi vicieuse qu’une Tragédie qui rendrait le vice aimable. […] Les Poètes Grecs ont mis sur leur Scène des Souverains qui venaient de mourir, & quelquefois même des Princes vivans : ils se proposaient par-là de plaire à leur Partie, en rendant odieux le gouvernement d’un seul ; & c’était un moyen d’y réussir, que de rendre les Rois méprisables par un caractère vicieux, & l’exposition de faiblesses dont l’univers retentissait encore.