Écoutons leurs raisons d’une oreille impartiale, & convenons de bon cœur que nous aurons beaucoup gagné pour nous-mêmes, s’ils prouvent qu’on peut se livrer sans risque à de si douces impressions. Autrement, mon cher Glaucus, comme un homme sage, épris des charmes d’une maitresse, voyant sa vertu prête à l’abandonner, rompt ; quoiqu’à regret, une si douce chaîne, & sacrifie l’amour au devoir & à la raison ; ainsi, livrés dès notre enfance aux attraits séducteurs de la Poësie, & trop sensibles peut-être à ses beautés, nous nous munirons pourtant de force & de raison contre ses prestiges : si nous osons donner quelque chose au goût qui nous attire, nous craindrons au moins de nous livrer à nos premieres amours : nous nous dirons toujours qu’il n’y a rien de sérieux ni d’utile dans tout cet appareil dramatique : en prêtant quelquefois nos oreilles à la Poësie, nous garantirons nos cœurs d’être abusés par elle, & nous ne souffrirons point qu’elle trouble l’ordre & la liberté, ni dans la République intérieure de l’ame, ni dans celle de la société humaine. […] L’expérience nous apprend que la belle harmonie ne flatte point une oreille non prévenue, qu’il n’y a que la seule habitude qui nous rende agréables les consonances, & nous les fasse distinguer des intervalles les plus discordans.