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78. (1684) Sixiéme discours. Des Comedies [Discours sur les sujets les plus ordinaires du monde. Premiere partie] « Sixiéme Discours. Des Comedies. » pp. 279-325

L’oreille y est charmée par la mesure, par la douceur, & par la prononciation des vers ; le nombre & l’accord des instrumens & des voix semblent s’y disputer la gloire de la ravir. […] Que le Ciel parle pour retirer un homme d’un poste si dangereux, l’esprit est si partagé entre les yeux, les oreilles, & soy-mesme, qu’il n’a point d’attention pour tout ce que la grace peut luy representer ; le plaisir tient les sens & l’esprit tellement attaché, qu’il ne luy laisse ny la pensée, ny presque la liberté de se retirer, de se rendre à soy-mesme, & de rentrer dans le devoir. […] Votre esprit est battu de toutes parts, vos yeux, & vos oreilles sont ou verts à tous les traits que l’impudicité & l’impieté lancent dans le plus intime de vos ames ; vous estes environné d’abysmes ; tous les Acteurs, toute l’assemblée s’efforcent de vous y précipiter, & je pourois croire que vous n’estes point blessé, & que vous ne tombez point ? […] Il n’est pas permis de voir, selon le sentiment de ce grand Personnage, ce que Dieu défend de faire ; on ne peut pas regarder avec innocence ce qu’on ne pourroit accomplir sans peché, & ces ordures ne pouvant sortir de la bouche, qu’elles ne soüillent & la langue, & l’ame, de quelle maniere entreront-elles par les yeux & par les oreilles sans infecter l’esprit, le cœur, & les sens mesmes qui leur accordent le passage ? […] Un Caton, un Scipion, plusieurs autres Magistrats Romains, ne vouloient pas souffrir qu’on bâtist des theatres, parce qu’ils les consideroient comme des machines dressées contre l’honesteté publique, comme des orages qui s’élevoient contre la pureté des mœurs, comme des sources impures qui s’ouvroient pour corrompre les yeux, les oreilles, les esprits, & les cœurs du premier peuple de l’univers.

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