Pardonnez à l’insuffisance de mon esprit, belle âme, qui en la comparaison de chose incomparable, n’avez semblable que vous : La similitude des pierres précieuses vous offense, elles ont leur être en la terre, et votre origine est au ciel, si ce n’est de celles d’Egypte qui naissent au plus haut de l’Ether : Vous en avez le feu et l’éclair étincelant, et moi pour vous honorer j’en tiens la constance, qui m’a fait entreprendre cette matière qui est une pierre de prix : Voyez que dans ma main elle sera brute en la terre, sans être en œuvre ; donnez-lui sa vraie feuille, la chaleur et le teint selon l’aspect de votre Soleil : affinez son lustre pour la faire étinceler sans nuage, cendre, noirceur, paille, filandre, poudre qui puisse permettre à la lime de mordre ou d’altérer qu’elle ne perde sa couleur qu’en votre flamme, pour se changer, comme le mauvais Saphir en un bon diamant : Et au lieu que j’en fais une Charite sans grâce, relevez-le de celles que vous tenez qui vous font esclaver, dominer et triompher des âmes plus parfaites, pour ne parer vos trophées de dépouilles éteintes en ce combat qui est plus glorieux que ceux de Jupiter, d’Apollon, de Palémon, et d’Archémore : aussi en avez-vous un prix plus excellent que l’olivier, le pommier, l’ache, et le pin : car vous en rapportez les couronnes immortelles qui n’étaient dues qu’aux immortels : et décochant par paroles les sagettes des Muses, comme un second Anthée vous reprenez nouvelles forces, non pas en touchant la terre, mais en vous élevant au ciel, où vos propos nous ravissent, non sur les ailes d’or d’Euripide, mais sur les célestes de Platon, qui portent nos désirs jusques au lieu où la vertu fait sa demeure, nous rassasie du délicieux miel de Python, du nectar de Calliope, purifie nos oreilles, éclaire les yeux de notre esprit humecte nos âmes d’une rosée dont la douceur éteint toute amertume, et ne nous laisse que le regret de voir beaucoup d’hommes mal nésk, qui pour entendre la mélodie Phrygienne ne sont pas atteints d’une divine fureur : mais comme le Temple des Euménides en Athènes rendait frénétique celui qui n’y apportait le respect qui était dû, le vôtre a eu la même propriété : et ainsi que Lycaon fut changé en loup, vous les avez fait transformer en bêtes hurlantes. […] Continuez donc, belle, docte et divine Muse, à imiter les mouches d’Hymette, qui des fleurs dont nous ne tirons que la senteur et la couleur font le miel doucereux : Jugez qu’il n’y a rien qui puisse contenter ceux à qui la vertu et la félicité ne peut suffire : car l’une comprend tout ce qui est à faire ; et l’autre, ce qui se peut souhaiter ; mais nos souhaits ne doivent-ils pas être accomplis au transport de l’aise que nous sentons quand nous voyons cet Oracle du monde, dont le nom est porté par toute la terre : qui avec un port de Vestale, et les façons de Mars, fait voir Mercure sur ses lèvres, Minerve en sa poitrine, Apollon en l’esprit, qui comme un autre Soleil, attire par ses rayons notre vue et nos louanges, et nous fait avouer que la matière surmonte l’œuvre, et qu’elle est digne des honneurs qui élevèrent Hercule dans les cieux : Elle en sait imiter les astres, qui font un chemin tout contraire à celui du monde, et vont encore mieux que lui.