Cependant je crains bien qu’aux yeux des spectateurs, sa grandeur d’âme ne diminue beaucoup l’atrocité de ses crimes, et qu’une pareille pièce, jouée devant des gens en état de choisir, ne fît plus de Mahomet que de Zopire. […] Suivez la plupart des pièces du théâtre français, vous trouverez presque dans toutes des monstres abominables et des actions atroces ; utiles, si l’on veut, à donner de l’intérêt aux pièces, mais dangereuses certainement, en ce qu’elles accoutument les yeux du peuple à des horreurs qu’il ne devrait pas même connaître, et à des forfaits qu’il ne devrait pas supposer possibles. […] L’intérêt principal est pour Bérénice, et c’est le sort de son amour qui détermine l’espèce de catastrophe : non que ses plaintes donnent une grande émotion durant le cours de la pièce, mais au cinquième acte, où, cessant de se plaindre, l’air morne, l’œil sec et la voix éteinte, elle fait parler une douleur approchante du désespoir ; et les spectateurs vivement touchés commencent à pleurer quand Bérénice ne pleure plus. […] Qu’on ait donc soin d’inculquer de bonne heure aux jeunes gens qu’ils ne sont point faits, comme de vils animaux, pour se procurer des sensations voluptueuses ; que leur raison est le flambeau qui doit les éclairer ; que cette raison, épurée par la religion, dicte des devoirs ; que la satisfaction qui provient des actions vertueuses est le plus grand de tous les plaisirs, et le seul permanent ; qu’un homme qui néglige sa raison est plus à craindre que celui qui renoncerait volontairement à l’usage de ses yeux ; qu’il est aussi impossible d’être heureux avec une âme souillée de vices, que de se bien porter avec un corps couvert d’ulcères ; que la science est la source des biens, comme l’ignorance est la source de tous les maux. » « On nous dira peut-être que le théâtre épuré par le goût et la décence est devenu pour les modernes une école de mœurs. Ne suffit-il pas d’ouvrir les yeux pour se détromper de cette idée ?