Sa nature qui est de toujours agir, ne le peut laisser oisif sans danger : car comme il a plus de pente pour le mal que pour le bien, si on le laisse dans une pleine liberté de se porter où il veut, il tournera plutôt du côté du vice que de la vertu : Le repos dont il a besoin, est de ne pas toujours faire ce qu’il fait avec trop de contention, et de se donner à quelque légère exercice, lequel quoiqu’il soit bon, ou du moins indifférent, ne l’occupe qu’avec plaisir, et autant qu’il veut. […] Pourrait-on dire avec vérité, qu’un homme de Palais qui a la tête pleine d’une confusion de procès, ou qu’un Marchand qui a été fort occupé à liquider son trafic, ne pourrait trouver aucun soulagement à sa peine en lisant un beau livre ? […] Elle nous donne en partie ce que les Anachorètes sont allés chercher dans les déserts : elle nous fait maîtres de nous-mêmes ; elle nous arrache de cette hantise contagieuse, où le péché est presque inévitable ; elle nous fait renoncer à l’intrigue, à la vie douce, à la cajolerie, qui sont les grandes sources d’iniquité et de la corruption des mœurs : elle nous dégage de l’oisiveté, qui est la mère des vices et la ruine de la noblesse, tant pour le corps que pour l’esprit : car n’ayant pas de quoi s’occuper ni dans le trafic, qui est au-dessous de sa condition, ni dans la guerre, qui ne dure pas toujours, elle se consomme en une vie languissante, et pour ne pouvoir pas faire ce que font les autres hommes, elle fait quelquefois ce qui ferait rougir les bêtes. […] François de Borgia étant encore Duc de Gandie, voulant se dérober à l’importunité des compagnies ; et se défendre du jeu et de l’entretien des Dames, qui sont les deux grandes occupations de ceux qui ne se peuvent occuper, ne trouvait point de plus spécieux prétexte que la Chasse : Il ne se peut dire combien Dieu, qui commençait à se communiquer à son cœur, lui fit connaître de belles vérités à cette occasion : Tout ce qu’il y voyait était une très utile instruction pour lui : Tantôt il considérait l’esprit que Dieu a donné à l’homme pour apprivoiser et dresser un oiseau, tantôt il pensait, comme quoi un Epervier, qui est d’un naturel farouche, et qui a si peu de tête, pouvait profiter des leçons qu’on lui fait ; on l’envoie parmi l’air comme un soldat armé pour livrer combat à d’autres oiseaux qui sont plus grands que lui. […] N’est-ce point pour cela qu’on tire cette conséquence que les Chasseurs ne sont point dévots ; car cet exercice les occupe si fort, que tout leur cœur y va et qu’il n’en reste rien pour Dieu ?