Parmi un si grand nombre de Tragédies modernes, en voulant séparer celles que l’on peut conserver, je me suis apperçu, avec surprise, que presque toutes les Tragédies Grecques peuvent rester au nouveau Théâtre : si l’on ne s’était point écarté de ces dignes modèles, le Théâtre moderne aurait peu besoin de correction, et ne se serait pas attiré tant de critiques. […] Nous ne pourrions pas de nos jours proposer de pareils modèles ; ou, du moins, nous ne devrions jamais le faire, parce qu’ils blesseraient nos mœurs : aussi la Tragédie de Phèdre est elle du nombre de celles que je rejette : mais, dans Andromaque, il ne s’agit que d’un amour tout naturel, et qui, eu égard aux personnes et aux circonstances, n’a rien en soi de criminel ; cependant cette passion, toute simple qu’elle est, se trouve portée à un tel point de violence, dans Pyrrhus et dans Hermione, qu’elle produit tous les excès que nous voyons. […] On dira peut-être que cette Tragédie (ou Comédie héroïque, ainsi que Corneille l’a nommée) aurait été mieux à sa place dans la classe des Pièces à corriger, ou même à rejetter ; puisqu’elle peut s’appeller le triomphe de la passion d’amour, c’est précisément par cette raison que j’ai voulu l’examiner de près ; et que, toutes réflexions faites, je l’ai mise au nombre de celles que je conserve. […] J’ose donc me flatter que tout Lecteur raisonnable, et même délicat, ne me reprochera pas trop de condescendance en adoptant cette Pièce : on ne peut trop condamner, je le répète encore, la passion d’amour, lorsqu’elle est empoisonnée, comme on la trouve dans un trop grand nombre de Pièces ; mais il faut aussi l’approuver sur le Théâtre, lorsqu’elle peut être profitable. […] Mais je répondrais en premier lieu que, dans le nombre de ces Tragédies que je conserve, je n’ai pas prétendu qu’elles fussent toutes dignes d’être conservées en leur entier ; je sais que la plupart de ces Pièces pourraient être placées dans la classe de celles qui ont besoin d’être corrigées ; cependant, si on venait à les représenter telles qu’elles sont sans aucun changement, je me flatte qu’on n’y trouverait rien de contraire aux bonnes mœurs, ni qui fût de mauvais exemple : et, quant aux petites bagatelles qui mériteraient ou d’être corrigées, ou d’être supprimées totalement, je m’en rapporte à ceux qui seront nommés, en cas que mon projet réussisse, pour examiner les Pièces du Théâtre de la réforme plus sévèrement que je n’ai prétendu le faire.