Il y a beaucoup plus de femmes vertueuses que d’hommes vertueux, c’est un fait ; j’en suis fâché pour vous et pour notre sexe ; mais il n’est que trop certain que le mérite et la vertu des femmes nous avilissent, et si vous y regardez à deux fois, vous serez contraint de m’avouer qu’il n’est pas moins étonnant qu’il y ait un si grand nombre de femmes estimables avec le peu d’éducation qu’on leur donne en général, qu’il est surprenant de voir si peu d’hommes estimables avec l’éducation qu’ils reçoivent. […] Puisque nous avons de nous une opinion si haute aux dépens des femmes, pourquoi donc avons-nous des défauts en plus grand nombre, et bien plus insupportables que les leurs ? […] Quand Messieurs nos petits-maîtres Français un peu mieux instruits, un peu plus gens de goût, rendront aux talents l’hommage qu’on leur rend en Italie ; quand ils sauront les préférer à la fadaise ; quand nos orgueilleux Philosophes ne borneront plus dédaigneusement les femmes à coudre et à tricoter ; quand les femmes riches et de qualité ne s’occuperont plus d’ouvrages qui devraient être ceux de leurs soubrettes ou faire gagner quelques sous à une malheureuse couturière ; que, pour plaire aux hommes, elles croiront devoir donner aux beaux-arts la moitié du temps qu’elles perdent à leur toilette, qu’une plume ou un pinceau feront tomber de leurs mains la navette, et le sac à l’ouvrage, je vous proteste que nous aurons bientôt autant de femmes illustres que d’hommes, et que notre sexe n’aura pas à se négliger s’il veut conserver toujours la supériorité du nombre et des talents. […] C’est que le génie est un don du Ciel qui ne s’acquiert point : il pourrait même rester toujours enseveli chez les hommes à qui la nature l’a bien voulu accorder, si l’éducation et le goût ne parvenaient à le développer ; ce n’est donc qu’après avoir donné aux femmes la même éducation que l’on donne aux hommes, qu’on pourra décider si la nature leur a refusé une faveur qu’elle a accordée à un très petit nombre d’hommes. […] Dites-moi Monsieur, Madame votre Mère était-elle du nombre de ces femmes faibles, qui savent métamorphoser les hommes forts en femmelettes ?