J’avertis par avance que quand même Moliere ne sortiroit pas de cet examen aussi pur que je le souhaiterois, je ne l’en regarderois pas moins comme le meilleur Poëte comique que la France ait eu, & qu’elle aura peut-être jamais ; il sera toujours vrai que ses portraits sont de main de maître, & que les dialogues de ses personnages sont d’un naturel inimitable : ce que je dis ici, est pour me garantir de la malignité de ceux qui croiroient que je choisis Moliere au hasard, sans en connoître le mérite. […] Rien en cela que de naturel : dira-t-on que quelques propos bizarres d’Alceste forment le fond du caractere du misanthrope, tels que ceux-ci : « J’ai un procès, je crois avoir raison, je voudrois pour la beauté du fait perdre ma cause… » & celui-ci, « Votre sonnet ne vaut rien, j’aime bien mieux la chanson, si le Roi m’avoit donné Paris sa grand’ville, &c.. » & cet autre, lorsqu’il est près d’être conduit chez les Maréchaux de France, pour l’injure qu’Oronte le faiseur du sonnet, prétendoit avoir reçue de lui : « Je n’en démordrai point, les vers sont exécrables ; » & plusieurs autres endroits de même nature que je pourrois citer ; croira-t-on, dis-je, que quelques petits ridicules prêtés à Alceste, soit dans ses manieres, soit dans ses paroles, donnent beaucoup d’éloignement pour son caractere ? […] Le ridicule de ces deux personnages non-seulement est naturel, mais il concourt encore à mettre dans un plus grand jour l’hypocrisie de Tartuffe.