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230. (1758) P.A. Laval comédien à M. Rousseau « P.A. LAVAL A M.J.J. ROUSSEAU, CITOYEN DE GENÈVE. » pp. 3-189

« Un Spectacle, selon vous, ne peut être utile au peuple, parceque pour lui plaire, il faut favoriser ses penchans, au lieu qu’il faudroit les modérer. » Je ne suis pas bien persuadé qu’il faille absolument favoriser le penchant du peuple, pour accréditer le Spectacle, je ne conseillerois pas à un Auteur de fronder tout à coup et; sans précaution le goût d’une Nation, mais je voudrois que par dégrés il l’accoûtumât à le rectifier. […] Je sais bien qu’aujourd’hui particulierement que nous sommes en guerre, un Auteur auroit mauvais jeu à faire le panégyrique de la France ; mais sans nommer les gens par leur nom, un habile homme sait se faire entendre ; j’en reviens donc à ce que j’ai dit : On ne doit point heurter ouvertement le goût d’une nation, mais avec des tempéramens faciles pour les gens à talens, on vient à bout d’adoucir la censure qu’on en fait, et; insensiblement on le rectifie. […] Quel est le Comédien qui ne préférât pas cent louis d’appointemens à Genève, où on l’estimera et; où on le vengera du caprice des autres Nations, à six mille livres dans un pays où l’on lui refusera les considérations dont sa façon de penser et; d’agir le rendent digne ? […] Je ne sais s’il faut juger de vos Concitoyens par les autres nations, mais on remarque que le lendemain et; même plusieurs jours après ces réjouissances tumultueuses, l’ouvrier reprend son travail avec répugnance. […] Cette nation profonde, si respectable, aussi savante que guerriere, fait non-seulement sentir les effets de sa bienveillance et; de sa générosité aux Acteurs et; aux Actrices célébres pendant leur vie, mais encore après leur mort ; les gens qualifiés les accompagnent au tombeau ; on décore leur sépulture, on les honore de regrets et; d’éloges publics.

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