Si la Pièce est sage, instructive, comme le Misanthrope, le Menteur &c. en elle-même, elle doit corriger, épurer les mœurs : Si l’Acteur, si l’Actrice ont un autre but que de seconder le but du Drame ; si l’envie de plaire, de séduire leur fait chercher à réveiller dans les sens une volupté dangereuse ; si leur conduite expose à la dérision les maximes que le Poète met dans leur bouche, c’est alors l’Histrionisme qui devient contraire aux mœurs ; c’est lui qui ne peut manquer de vicier & d’anéantir l’effet naturel qui devait suivre le Drame ; non que ce soit un inconvénient réel, que la plupart des Spectateurs se trouvent attirés aux représentations dramatiques par le plaisir que donne le jeu de tel Acteur ou de telle Actrice ; cet attrait non-seulement augmente leur nombre, mais contribue infiniment à leur faire goûter la morale & les leçons : cependant s’il est nécessaire que l’attente ne soit pas trompée, & qu’on trouve ce genre de plaisir à nos Théâtres, il est clair en même-temps qu’une Pièce est bien imparfaite, & loin du but où doit tendre la bonne Comédie, lorsque son Auteur, sacrifiant le principal à l’accessoire, n’a cherché qu’à donner le plaisir résultant de la Représentation : la Pièce est dangereuse, lorsqu’elle nous divertit par des scélératesses* dans le Drame ; elle est inadmissible, lorsqu’elle ne plaît que par la volupté qu’y réveillent à chaque mot les mines provoquantes de l’Actrice, ou le jeu libre & sémillant de l’Acteur. […] Dans ces trois Pièces, le jeune-homme ne voit que des objets séduisans ; il n’entend que des maximes libres ou mondaines ; on allume la volupté dans ses sens, l’on parle à son cœur un langage passionné ; mais il n’y trouve pas un petit mot dont il puisse profiter. […] … Concluons donc, que le Théâtre, uniquement composé des Pièces dans le genre dont je viens de parler, « ne peut être comporté par l’austérité Républicaine » : mais convenons, en consultant la raison, qu’en eux-mêmes, les Spectacles, sont légitimes, utiles ; qu’ils peuvent, par leur argument ou leur sujet, instruire les hommes, adoucir ; épurer les mœurs, aussi bien qu’ils pourraient les corrompre ; que de bonnes loix (comme je le prouverai en deux mots, en répondant aux questions 6 & 7,) que de bonnes loix, dis-je, suffisent pour réprimer les abus : le Comédisme réformé, le Drame intéressant & châtié produiront cet avantage, écarteront tous les inconvéniens. […] Si d’un côté, vous ôtez aux Comédiens actuels la considération, l’estime publique, les honneurs, en un mot, tout ce qui a du pouvoir sur l’âme des honnêtes-gens ; & que de l’autre vous accumuliez les obligations, les devoirs ; que voulez-vous qui les soutienne, & comment la balance gardera-t-elle l’équilibre ? […] Ce mot n’est pas mis ici par flaterie ou par hasard ; dans une monarchie telle que celle des Français, l’amour des Souverains, vraiment pères d’un Peuple qu’ils ont affranchi de la tyrannie féodale, est la même chose que l’amour de la Patrie.