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73. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre VI. Suite d’Anecdotes illustres. » pp. 184-225

Cyr fut cent fois renouvellée ; le Roi, toute la Cour s’y rendit, les Demoiselles étoient exercées six mois à l’avance, elles s’étaloient les heures entières sur un théatre ; c’est une suite de la vie qu’elle avoit menée avec Scarron, avec Ninon Lenclos, avec Madame de Montespan, On a beau être vertueuse, on se monte sur le ton de ceux avec qui l’on vit ; j’avoue la foiblesse de mes lumières, je n’ai jamais pu, sur cet article, concilier Madame de Maintenon avec elle-même. […] Pour contenter tout le monde, il eut fallu faire de tout Paris une salle ; le plus beau fut celui qu’on destinoit à l’Hôtel de Condé, il fut pourtant rejetté au grand regret des amateurs, à cause de l’énorme dépense qu’il entraînoit, qui en comptant l’achat de l’emplacement, les frais de la construction, des ornemens, des décorations, des foyers, des magasins, des chambres des Acteurs & des Actrices monte à plusieurs millions. […] Les Éphémérides du Citoyen, année 1770, donnent un détail fort circonstancié des impositions du Duché de Milan, qui montent à plusieurs millions. […] L’Impératrice Reine a destiné un autre fonds à cette dotation, & s’est réservée l’entreprise du théatre qui monte bien plus haut que l’entretien de ces filles, qui dans les atteintes portées à l’état religieux, a bien l’air d’être supprimé ; mais le théatre toujours florissant ne craint point de suppression. […] La tyrannie d’Henri VIII, l’horreur des persécutions, l’embarras des factions, les guerres civiles, les troubles de religion, ne laissoient pas le temps de cultiver la scène & avoient monté la Cour & la nation Britannique naturellement sombre, sur un ton grave & sérieux, fort apposé à la bouffonnerie & à la licence : le règne de la vierge Elisabeth fut plus favorable à Thalie, il vit paroître le fameux Shakespear qui en fit la gloire dramatique ; c’est le créateur de la tragédie Angloise, comme Corneille de la tragédie Françoise ; les Anglois le mettent de pair avec ce Poëte, quoiqu’il lui soit fort inférieur.

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