Elisabeth d’Angleterre, qui après quarante ans de comédie venoit par sa mort de quitter la scène, lorsque Christine y monta ; avec tous les défauts de son sexe, une vanité, un luxe, une licence poussée plus loin que ceux de la Suédoise, parce qu’elle étoit plus aimable, plus puissante, plus riche. […] Elle avoit à sa Cour deux Savans distingués, Meibonius qui venoit de donner au public un traité sur la musique des anciens Grecs, & Naudé qui en avoit donné une sur la danse des Romains ; elle voulut que Meibonius chantât à la Grecque, & Naudé dansât à la Romaine selon les principes de leurs ouvrages ; ils ne savoient ni chanter ni danser, elle ne vouloit que se moquer d’eux : ainsi l’un avec la voix cassée, rauque & tremblante ; l’autre avec ses pas lourds, traînans & sans cadence, lui donnèrent la farce sur son théatre, Naudé n’en fit que rire, Meibonius s’en offensa, il sut que l’Abbé Bourdelot avoit suggéré cette idée burlesque ; il l’attend quelques jours après, lui donne des coups de bâton, & sans prendre congé de la Reine, monte à cheval & se retire. […] Ce peuple sage dans sa grossiéreté craignoit qu’une jeune Reine si dissipée ne lui donnât quelque fils naturel qui attroit causé du trouble pour la succession, ou peut-être qu’un mariage bisarre formé par la passion ne fit monter sur le trône quelque amant indigne qui l’auroit déshonoré, ou quelque Prince étranger qui seroit venu gouverner l’État & enlever ses finances ; on souhaita qu’elle se mariât & qu’elle épousât le Prince Palatin, Charles, son proche parent, héritier présomptif de la couronne, mariage à tous égards très-convenable, qui assuroit le repos de la Suède, l’âge, la naissance, la religion, le mérite, tout étoit parfaitement assorti ; on le lui proposa, on l’en pria, on l’en pressa ; un mariage formé par la sagesse n’est pas du goût de Thalie, elle ne veut que les chaînes de la passion, ou l’indépendance du célibat, & quoique toutes les comédies se terminent par un mariage, la plupart des Auteurs, Acteurs, Actrices, Amateurs préfèrent au joug de l’hymen, la dissipation & le libertinage, elle avoit devant les yeux l’exemple récent d’Elisabeth d’Angleterre qui avoit refusé vingt-quatre mariages & joué la virginité pendant quarante ans. […] Je me représente l’assemblée des États où cette abdication fut reçue comme une véritable farce de la foire, une salle magnifiquement ornée, un trône superbe ; tous les États affublés de leurs habits de cérémonie, couverts de leurs fourrure ; la Reine la couronne sur la tête un globe à la main comme la maîtresse du monde (quoique la Suède n’en soit pas la centième partie, mais ridicule d’usage, plusieurs Rois en sont décorés) elle monte gravement sur son trône pour annoncer sa volonté suprême & dernière ; les États qui le désiroient avec ardeur lui font des protestations de fidélité & des prières pressantes de ne pas se demettre. Charles assis sur une chaise basse à côté, & loin du trône comme le moindre des sujets, proteste qu’il n’en veut point, elle descend, & va le prendre par la main, pour le forcer d’y monter.