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45. (1658) L’agent de Dieu dans le monde « Des théâtres et des Romans. CHAPITRE XVIIII. » pp. 486-494

Mais parce que l’acteur a pour dessein principal d’exciter les passions ; de tous les sujets il choisit ceux où elles se portent le plus, il passe ainsi pour fort adroit à mouvoir les cœurs en leur représentant ce qu’ils aiment, comme à notre façon de parler, c’est faire du feu, qu’y mettre du bois, et c’est donner cours à l’eau, de lui préparer une pente. […] La Religion Chrétienne a beau persuader la paix entre les peuples, la clémence au gouvernement, l’usage modéré des choses extérieures sans s’y corrompre ; le théâtre met au contraire le souverain bien de la vie, à s'élever sur les ruines des peuples, à remporter des victoires, sans avoir égard à la justice des armes, à juger des entreprises par l'evènement, à tenir les sceptres moins du Ciel que de l’audace et de la fortune. […] Ce n’est pas un amour purement brutal et sensible, qui fait les grands désordres dans le monde ; c’est cet autre amour qui tient de l’esprit, qui se repaît de ses idées ; qui ne veut pour prix que des complaisances, qui se figure quelque choses de divin en son objet, et qui lui croit aussi rendre des respects fort innocents ; c’est cet amour qui met les soupirs au cœur, les larmes aux yeux, la pâleur sur le visage, qui occupe jour et nuit toutes les pensées, qui porte l’extravagance et à la fureur, et voilà l’amour que les plus chastes théâtres mettent dans les cœurs. […] ils mettent le feu à la paille, pourquoi s’étonner si elle brûle ; La justice s’arme afin de punir les auteurs et les complices d’un enlèvement qui blesse l’honneur de quelque illustre famille, elle poursuit avec rigueur et avec toutes les notes d’infamie ces âmes perdues qui corrompent la pudicité des autres ; Néanmoins on permet que les Romans qui sont des bouches toujours ouvertes à persuader le mal, aient libre entrée dans les maisons, dans les cabinets pour y débaucher tous les esprits, pour leur inspirer des affections illicites, avec les moyens d’y réussir ; on punit le corrupteur d’une chasteté particulière, cependant on tolère, l’on agrée, on loue ces méchants livres qui sont les professeurs publics d’une passion, dont la fin est l’incontinence, le péché, le déshonneur, le désordre des familles et des Etats.

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