Dans la situation où se trouve Polyeucte, lorsque, déterminé à souffrir le martyre pour la foi, il se voit arrêté par les prières de sa femme, et par les tendres efforts qu’elle fait pour l’en détourner ; quel sentiment ces critiques auraient-ils mis dans le cœur et dans la bouche d’un tel mari ? […] Je conviens que le Poète pouvait se dispenser de mettre dans la bouche de Pauline le mot d’amour, qui force Polyeucte à lui faire la réponse que nous venons de voir ; mais on ne doit pas oublier qu’elle est Payenne ; elle a recours, pour persuader son mari, aux plus fortes armes dont elle pouvait faire usage : si Pauline avait été Chrétienne, Corneille ne lui aurait pas fait tenir un pareil langage ; ou, s’il l’eût fait, on aurait pu, avec justice, le lui reprocher. L’amour de Sévère, qui arrive dans l’intention d’épouser Pauline, n’étant pas instruit de son mariage ; et la vertu dont tous les deux donnent de si grandes preuves, sont des leçons admirables pour mettre un frein à cette dangereuse passion. […] Cependant, telle qu’elle est en trois Actes et avec des chœurs en musique, je ne balancerais pas un instant à la mettre sur le Théâtre de la Réformation. […] Cette Tragédie semble avoir été faite pour un Collège : elle est sans femmes et en trois Actes ; si M. de Voltaire l’avait voulu, il l’aurait mise facilement en cinq Actes ; je crois même voir très clairement qu’il s’est fait violence pour en restreindre l’action.