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5. (1759) Lettre à M. Gresset pp. 1-16

C’est que dans la fièvre de l’âge, et possédés de l’enthousiasme poétique, nous hasardons des maximes fausses et scandaleuses, entraînés par l’harmonie du vers, par la beauté de la rime, mais plus souvent encore par le désir du nom de bel esprit, titre aujourd’hui si flatteur, qui fait regarder nos vérités les plus sacrées comme des erreurs populaires, et le catéchisme du vulgaire ignorant et crédule. Voilà ce qui fait rimer tant de maximes erronées, que la voix impérieuse de la vérité qui réside au fond de notre cœur, condamne et désavoue malgré l’impiété de notre plume, et que nous nous efforcerons en vain d’étouffer. […] Non, non, l’esprit n’imagine point de si divines maximes : c’est la plume du cœur qui les écrit ; c’est lui seul qui les enfante, parce que lui seul en a le germe dans son sein. […] J’attends avec impatience la Critique que vous nous promettez d’un ridicule national, vicieux et très-commun : je croirais que ce serait l’Esprit Philosophique, si ce caractère était celui de notre Nation, chez laquelle le vrai Philosophe est fort rare, si l’on entend par ce mot ceux qui enseignent et qui pratiquent les maximes de la bonne morale, et si nous n’avions pas vu naître dans ce siècle l’abus scandaleux de ce titre respectable, et la plus fausse Philosophie. […] L’opposition évidente des maximes de l’Evangile, avec celles qu’on y débite, et l’inutilité jusqu’à ce jour des efforts de ses défenseurs plus savants en morale que les Bossuet, les Nicole, les Peres et tous les Conciles, nous répond de l’accomplissement de votre prédiction.

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