Quoiqu’il outre les caractères à dessein pour faire rire le parterre, que ses caractères soient la plûpart des caractères d’imagination, que son Mysantrope ne soit pas un vrai mysantrope, mais un homme de mauvaise humeur, son Tartuffe ne soit pas précisément un hypocrite, mais un scélérat qui se couvre d’un masque de dévotion, comme un voleur qui s’habille en Religieux n’est pas un mauvais Religieux, il est du moins vrai qu’il rend parfaitement les caractères qu’il a imaginés. […] Vous n’auriez pas besoin d’aller chercher au fond des cœurs le tableau des mœurs : il est sur le front, le masque est levé. […] Il en convient même sans y penser, car si aujourd’hui le masque est levé, si le vice est sur le front, il a donc bien fait du ravage depuis Moliere. […] Qu’on fasse louer Bossuet, Lamoignon, Massillon, Flechier, &c. quon aille hors de son sein chercher des hommes célèbres, Mabillon, Petau, Casaubon, Bourdaloue, on se fera honneur, on en fera à la religion & à la vertu ; mais faire l’apothéose du corrupteur de la nation, de l’ennemi de la piété, d’un Histrion qui a passé la moitié de sa vie sur les treteaux de la province, & enfin est venu étaler sa bouffonnerie & son libertinage sur le Théatre de la Capitale, & rendre ses derniers soupirs sous le brodequin & le masque, se jouant de la mort & la contrefaisant, dum ludit mortem mords indignata jocantem corripit, c’est bien avilir, c’est bien prostituer des couronnes académiques. […] La galanterie n’est pas la seule science qu’on apprend à l’école de Moliere ; on y apprend aussi les maximes ordinaires du libertinage, contre les véritables sentimens de la religion, quoi qu’en veuillent dire les ennemis de la bigotterie, & nous pouvons assurer que son Tartuffe est une des moins dangereuses pour nous mener à l’irréligion, dont les sentimens sont répandus d’une maniere si fine & si cachée dans la plûpart de ses autres pieces, qu’on peut assurer qu’il est infiniment plus difficile de s’en défendre que de celle où il joue pêle-mêle bigots & dévots, le masque levé, &c.