Ce qu’on imite est la premiere ; la seconde est la maniere d’imiter ; & la troisiéme consiste dans les secours ou dans les instruments de l’Imitation. […] La maniere d’imiter consiste dans l’art de former des traits & des contours sur la toile, ou sur toute autre espece de table rase ; & les instruments ou les secours de l’Imitation, sont les couleurs qu’il employe. De même dans la Tragédie, l’objet de l’Imitation, ou ce que le Poëte imite, est en général une action humaine, grave, illustre, intéressante ; la mesure & l’harmonie des Vers, à quoi il faut joindre la force & la grace de la déclamation, sont la maniere d’imiter ; la décoration ou l’appareil extérieur du Spectacle & la Musique, lorsqu’elle y est jointe, sont les instruments ou les secours de l’Imitation. […] J’entends encore ce tissu ingénieux, qui forme si adroitement le nœud de la Piece, que le Spectateur cherche avec inquiétude comment le Poëte pourra le dénouer, & qui le dénoue ensuite si heureusement & d’une maniere si convenable au reste de la Tragédie, que le dénouement paroît sortir du nœud même sans que le Poëte ait été obligé de l’aller chercher bien loin, d’emprunter des secours étrangers pour sortir de l’embarras où il s’est mis, & de faire en quelque sorte une seconde Piece pour finir la premiere, comme il est arrivé à Corneille même dans les Horaces. […] Il me reste maintenant à toucher beaucoup plus légerement les deux derniers points qu’Aristote distingue dans l’imitation du Poëte Tragique comme dans toute autre imitation ; l’un est la maniere d’imiter, l’autre consiste dans les secours ou dans les instruments de l’imitation, & il me suffiroit presque d’observer ici en général, que ce qui plaît dans ces deux derniers points, nous émeut par les mêmes raisons que j’ai expliquées peutêtre avec trop d’étendue sur le premier.