Le Poète ne doit pas donner à entendre, que son Héros est tombé dans le malheur, pour être sujet à quelque imperfection ; mais pour avoir fait quelque faute, qui mérite d’être punie. […] Pour exciter ce sentiment dans le cœur du spectateur, il faut que le Poète amène avec art les aventures de son Héros ; et que la perfidie de ceux qui lui sont unis par les liens du sang, de l’amitié, ou de l’amour, le fassent tomber dans le malheur. […] Il faut dont choisir un sujet, où l’on trouve un mélange de bonne et de mauvaise fortune, et dont le Héros se croyant au comble de ses désirs, est tout à coup précipité dans un abîme de malheurs : ou qui après avoir été longtemps persécuté, et accablé de disgrâces, voit cesser tous ses malheurs par un retour de bonne fortune. […] La science des mœurs est absolument nécessaire à quiconque veut entreprendre une pièce dramatique, puisque les mœurs sont le principe du bonheur ou du malheur des hommes : Quoiqu’on voit souvent des personnes vertueuses, accablées de malheurs, et des scélérats dans la prospérité : cependant comme le but de la Tragédie est d’instruire, pour détourner les hommes du vice, et pour les porter à faire des actions vertueuses ; le Poète ne doit pas représenter la vertu toujours opprimée, ni le vice toujours impuni, ou triomphant. […] La même règle doit être observée pour condamner le vice, qui demeure heureux et impuni : Il faut, au moins, le menacer de quelque grand malheur, et faire des imprécations qui témoignent qu’on le déteste.