Ce Baron n’a pas les suffrages du Public, on n’applaudit pas aux soins qu’il se donne pour distraire par des divertissemens de cette espèce les Polonois qui voudroient jeter les yeux sur les malheurs incroyables de leur patrie. […] Pour se consoler de leurs malheurs & pour consoler les Dantzicois qui ne sont pas moins dans la désolation que les Polonois, ils ont fait une grande fête dans leur maison aux portes de Dantzic où ils invitèrent toute la ville, ils s’assemblèrent dans leurs grandes salles le jour de l’anniversaire de la naissance du Roi de Prusse. […] On ne croit pas que cette entreprise réussisse de pareils divertissemens contrastant trop avec la désolation de l’État, pour que des citoyens qui ont encore quelques sentimens d’amour pour le public ou le moindre égard pour la bienséance, puissent se permettre d’y aller ; il faut avoir le cœur tout-à-fait Comédien pour oser s’y montrer, le Roi de Pologne ne s’y est pas trouvé, il est trop sage ; ceux même qui sont attachés au grand Maréchal Poninski qui en est l’Auteur, pensent que les vrais patriotes ne le fréquenteront jamais, ce qui n’a été goûté que par les ames que la débauche a avili, qui après avoir acquis des richesses dans le malheur général, veulent les employer à se plonger dans le tumulte des fêtes & le délire des plaisirs, soit pour satisfaire leur goût, soit pour se cacher à eux-mêmes les malheurs qui les accablent. […] On croit que tout cela se fait par l’insinuation du Roi de Prusse ; ce sont en effet ses partisans qui l’honorent de leur approbation ; on sait que c’est son goût personnel & un des secrets de sa politique d’amuser ceux qu’il maltraite pour les empêcher de crier ; il le fit à Dresde, menant à la comédie la famille de l’Electeur qu’il venoit de prendre prisonnière ; il y a trois ans que les malheurs de la Pologne y firent cesser tous les spectacles, les malheurs n’ont fait que croître, & l’on veut y jeter le voile de la comédie pour endormir les malheureux. […] Au milieu des malheurs qui s’accumulent sur nos têtes, cette capitale offre un spectacle singulier par les contrastes ; quelques patriotes déployant dans ces cruelles circonstances l’élévation de leur ame, persistant avec une fermeté courageuse, mais stérile à parler, à agir en hommes libres, tandis que des perfides sacrifient lâchement la patrie à leur fortune, & préférent la splendeur honteuse du moment à la gloire immortelle de retarder du moins la ruine de l’état ; d’autres enfin indifférens rient de tout, & contemplant avec indifférence les événemens qui se passent sous leurs yeux ; ceux-ci se sont égayés au sujet de la puérile dispute qui s’est élevée entre deux grands au sujet des spectacles publics, il s’agit de savoir au nom duquel des deux ils doivent être donnés ou plutôt autorisés (tandis que tous les deux devroient s’y trouver déshonorés).