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517. (1759) Remarques sur le Discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie « Remarques sur le discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie. » pp. 350-387

Quand le Poete Tragique ne feroit que nous tirer de cette situation importune, il nous plairoit toujours, parce que la cessation d’un mal est un bien ; mais il y joint un plaisir plus réel & plus positif par un objet nouveau dont le spectacle, flatteur pour notre curiosité, n’est pas moins agréable à notre paresse, parce qu’elle ne fait aucun effort pour en jouir. […] Il en est de même des autres passions que l’action imitée par le Poëte Tragique, réveille dans notre ame ; & sans en dire davantage sur un sujet si connu, il est certain qu’une passion vive & agréable qui ne coûteroit rien à satisfaire, & qui ne seroit suivie ni d’un mal réel, ni même d’aucun trouble importun, passeroit dans l’esprit du commun des hommes, si elle pouvoit être durable, pour l’état le plus heureux de cette vie. […] Il y a peu de cœurs absolument mauvais, comme il y en a peu d’absolument bons ; un homme qui n’auroit que des vices sans aucune trace de vertu, seroit une espece de monstre dans la nature ; un homme qui n’auroit que des vertus, sans aucune ombre de défauts, seroit un véritable prodige ; mais le monstre & le prodige sont également rares, ou plutôt on n’en trouve jamais de semblables dans le monde ; on remarque dans tous les hommes un mêlange de bien & de mal, une inclination naturelle pour l’ordre, une pente encore plus forte pour le désordre : ceux mêmes qui s’y laissent le plus entraîner, ne le font pas toujours, & à l’égard de toutes sortes d’objets : ils ont des intervalles de lumiere & de raison, pendant lesquels ils ne sont pas insensibles aux attraits de la Vertu.

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