Il s’ensuivra seulement que les Auteurs dramatiques n’auront réellement mérité de leur patrie, que lorsqu’ils auront joint l’utile à l’agréable. […] Si Dom Sanche n’était, jusqu’à la fin, que le fils d’un Pêcheur ; si ce fils d’un Pêcheur ne se trouvait pas tout à coup, je ne sais comment, l’héritier légitime du trône d’Aragon ; si ce fils d’un Pêcheur ne devenait Roi que parce qu’il aurait mérité de l’être par ses vertus, je crois que la pièce aurait bien pu être sifflée : mais on ne reprocherait pas à l’Auteur de n’avoir pas fait servir son art à déraciner l’une des plus extravagantes et des plus anciennes préventions des hommes. […] Peut-être a-t-il pensé que le fils d’un Pêcheur, élevé par son courage aux premiers emplois de l’Etat, instruit par le malheur à chérir l’humanité, exercé dans son obscurité aux vertus paisibles, et plus satisfait de mériter une couronne, que de la porter, était un personnage plus digne de charmer un Philosophe, que d’occuper un grand Poète : et pour m’expliquer enfin sur ce sujet, sans ambiguïté, ou Corneille n’osant déplaire aux Grands, a pris le parti de les flatter ; ou il n’a pas jugé que ses contemporains fussent assez avancés pour préférer le beau naturel au gigantesque, et la vérité aux fictions : j’abandonnerai donc cette production imparfaite, et avant de chercher de nouveaux exemples qui confirment mon opinion, je vais prévenir vos objections (autant qu’il sera en moi) et combattre les principes que vous avez quelquefois supposés, plutôt qu’établis.