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77. (1767) Réflexions sur le théâtre, vol 6 « Réflexions sur le théâtre, vol 6 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SIXIÈME. — CHAPITRE I. Faut-il permettre aux femmes d’aller à la Comédie ? » pp. 4-29

Si on est encore assez aveugle pour les défendre, assez téméraire pour les fréquenter, on ne mérite que le mépris & la pitié ; & que méritent, que doivent bien-tôt mériter les femmes qui les fréquentent ? […] Elles sont infiniment susceptibles de tendresse, & portées à la passion : tout ici respire la licence, en offre les objets, en découvre les moyens, en inspire les sentimens, en lève les obstacles, en ôte la honte ; & ce qui les enchante, c’est que jetant un voile transparent sur le crime, on y familiarise en le déguisant, on soulage la pudeur en l’affoiblissant, on les flatte d’assez de vertu pour en éviter la grossiereté, d’assez de bonheur pour sauver les apparences, & d’assez d’indulgence dans le monde pour n’en être pas moins estimées ; leurs exploits font bien-tôt voir de quels lauriers méritent de ceindre leur front des guerrieres si bien exercées. […] Si elle étoit morte Actrice, tous les Poëtes auroient à pleines mains jeté des fleurs sur son tombeau ; la rose, le lys, le laurier, le myrthe, auroient cru d’eux-même au-tour de son urne ; Melpomène & Thalie, les amours & les graces, l’auroient arrosée de leurs larmes, & bien peu d’Actrices l’ont autant mérité, Mais l’aimable Gaussin, retirée de la scène & du monde, vivoit obscurement à la Villette près de Paris.

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