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45. (1776) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-neuvieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-neuvieme. — Chapitre III. Autre continuation des Mêlanges. » pp. 45-87

Sa licence seule a fait sa fortune : il seroit oublié s’il avoit écrit décemment & chrétiennement. […] La licence de ses écrits, sa morale épicurienne souilloit une vie qui ne suivoit de religion que la volupté ; des mœurs qui ne connoissoient point de décence lui ouvrirent les cœurs des libertins, & lui donnèrent encore des lecteurs, des admirateurs, des proselytes qui se font gloire de l’imiter, & meritent de l’obtenir ; mais lui fermerent la porte de l’Académie Françoise, où il eut la présomption de solliciter une place. […] C’est-là que naquit le trop fameux pyrrhonien, dont la plus grande licence, dont les mœurs & la religion sont aujourd’hui la réputation & le plus grand mérite ; parce que les esprits forts vont puiser dans la riche mine de de ses Essais des sarcasmes & des sophismes, & qu’ils sont honneur à leur systême d’un sectateur si distingué, & que les graces, la naïveté, la liberté, l’énergie de son style le sont lire avec plaisir, & goûter sans défiance un poison si bien assaisonné. […] Ses essais ont plu & plaisent encore, quoique beaucoup moins, par les gasconnades, la licence, la hardiesse, l’indépendance, la vanité, la naïveté, l’énergie ; il avoit beaucoup lu, jamais étudié ; il savoit de tout, mais très-superficiellement, & n’avoit approfondit aucune science ; il étoit trop libre pour s’assujétir à rien de serieux ; sa plume voisinage sur tout selon son caprice ; il commence cent choses, les quitte & ne finit rien ; jamais papillon dans une prairie ne fut plus volage ; il eut du crédit dans sa patrie ; sa famille y étoit distinguée ; il en remplit divers emplois avec honneur, & à la satisfaction de la Cour & de la ville plusieurs fois Maire de Bordeaux, député aux Etats de Blois ; bon négociateur, mais fort mauvais Ecrivain ; cette famille subsiste encore, elle a été bien illustrée par le Président de Montesquieu. […] En louant Baile, on donne du crédit à son Pyrrhonisme ; en exaltant Lafontaine, on fait l’apologie de sa licence & de ses contes, & on invite à les lire ; en élevant Moliere au-dessus des nues, on fait estimer le théatre, on donne l’envie d’y venir au grand préjudice de la vertu ; on n’oseroit louer directement le vice, on le loue indirectement dans ceux dont il a fait toute la gloire, & par l’exemple de ces prétendues grands hommes, on apprivoise, on séduit l’innocence, on calme les remords, on le fait triompher.

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