Mais ce ne sera pas certainement ce grand Législateur, qui regardoit la seule liberté de fiction autorisée sur le théâtre comme une source intarissable de perfidie & de mauvaise foi dans la société ; ce ne sera pas cet illustre Philosophe qui, traçant le plan d’une République parfaite, en excluoit non-seulement tout acteur, mais aussi tout auteur de théâtre ; & pourquoi ? […] De-là, comme remarque l’ingénieux Lactance, cette beauté, cette noblesse de sentiments, cette vivacité, cette diversité d’images, pour faire trouver les crimes plus charmants & plus aimables ; de-là cette magnificence, cette pompe de décorations, pour leur donner, plus d’appareil, un éclat plus frappant ; de-là cette liberté de fiction, pour en dégager la représentation de tout ce qu’ils eurent dans la réalité de rebutant & de hideux ; de-là cette exactitude de proportions & de vrai-semblances, pour exciter plus sûrement à l’imitation ; de-là cette politesse de langage, ces vers nombreux composés avec art, pour aider à les retenir plus aisément. […] Allez à présent, sur-tout, allez dans vos sociétés particulieres les donner devant vous, & pour peut-être vous donner vous-mêmes devant eux en spectacle : amusement nouveau, nouvel artifice mis à la mode dans notre siecle ; sans doute pour arracher tout-à-fait un reste de répugnance qu’on avoit jusqu’à présent conservé pour le théâtre & ses acteurs ; mais sur-tout, infaillible moyen de rendre la séduction plus certaine encore & plus prompte, en imprimant plus fortement des passions, dans lesquelles on est obligé de mieux entrer pour les représenter soi-même ; en donnant plus de liberté & de hardiesse à parler le langage de la volupté ; en mettant dans l’occasion la plus prochaine d’inspirer & de prendre des sentiments, mieux réglés peut-être dans leur objet, mais aussi déréglés dans leur principe ; & communément plus dangereux encore dans leurs suites : désordre contre lequel nous ne voyons pas que se soient élevés les saints Docteurs, sans doute parce que les Chrétiens de leur siecle en étoient incapables ; mais désordre que nous avons la douleur de voir déploré par des sages du Paganisme, comme le présage le plus certain de le prochaine & de l’entiere décadence des bonnes mœurs. […] L’intrigue n’est pour vous qu’un amusement ; vous regardez les rendez-vous les plus concertés comme un délassement d’esprit ; vous traitez la liberté, la licence des conversations de gaiété, de sel & d’enjouement aimable ; & tout ce que les saints Peres ont appellé voie du péché, occasion du péché, avant-coureur du péché, tout cela passe parmi vous pour politesse, belles manieres ; voilà votre innocence.