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35. (1759) Lettre sur la comédie pp. 1-20

Mes foibles talents n’ont point rendu mon nom assez considérable pour faire un grand exemple ; mais tout Fidèle, quel qu’il soit, quand ses égarements ont eu quelque notoriété, doit en publier le désaveu, & laisser un monument de son repentir. […] Tel est le malheur attaché à la Poésie, cet Art si dangereux, dont l’Histoire est beaucoup plus la liste des fautes célèbres & des regrets tardifs, que celle des succès sans honte & de la gloire sans remords : tel est l’écueil presque inévitable, sur-tout dans les délires de la jeunesse ; on se laisse entraîner à établir des principes qu’on n’a point ; un vers brillant décide d’une maxime hardie, scandaleuse, extravagante : l’idée est téméraire, le trait est impie, n’importe, le vers est heureux, sonore, éblouissant, on ne peut le sacrifier, on ne veut que briller, on parle contre ce qu’on croit, & la vanité des mots l’emporte sur la vérité des choses. […] Je laisse de si minces objets pour finir par des considérations d’un ordre bien supérieur à toutes les brillantes illusions de nos Arts agréables, de nos Talents inutiles, & du Génie dont nous nous flattons. […] Pourquoi perdre à douter avec une absurde présomption, cet instant qui nous est laissé pour croire & pour adorer avec une soumission fondée sur les plus fermes principes de la saine raison ?

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