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105. (1781) Réflexions sur les dangers des spectacles pp. 364-386

Le célèbre Montaigne occupé à montrer l’existence d’un germe de méchanceté et de malfaisance dans le cœur de l’homme, un fond de cruauté et de barbarie, cite en preuve l’empressement de la multitude à contempler les supplices horribles et dégoûtans que la justice décerne contre les malheureux, coupables de mort…. […] Mais si ces deux inconciliables ennemis ne peuvent faire de conquête qu’aux dépens l’un de l’autre ; si leur gloire simultanée est un monstre dans l’ordre des choses possibles ; que deviendra, à moins d’une révolution imprévue et subite, cette religion antique qui a couvert le globe de ses branches et de ses fruits, qu’un philosophe, qui ne l’aimoit pas, a nommée le foyer de toutes les vertus, la philosophie de tous les âges, la base des mœurs publiques ; le ressort le plus puissant qui soit dans la main des législateurs, plus fort que l’intérêt, plus universel que l’honneur, plus actif que l’amour de la patrie ; le garant le plus sûr que les rois puissent avoir de la fidélité de leurs peuples et les peuples de la justice de leurs rois ; la consolation des malheureux, le pacte de Dieu avec les hommes, et pour employer une image d’Homère, la chaîne d’or qui suspend la terre au trône de l’éternel. […] On verroit d’honnêtes commerçans gémir sur les fraudes et les vols multipliés dont ces troupes errantes affligent leur négoce ; emportant de toutes les villes où ils ont gesticulé, les fruits de l’industrie et de la sollicitude des hommes laborieux, morguant dans leur fuite le ressentiment de la justice, et jouissant par surcroît de sécurité d’un titre reconnu à la violation de tous les droits.

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