Tout cela fait un effet admirable, en ce que croyant parfaitement convaincre son Beau-frère de la beauté de son choix et de la justice de son amitié pour Panulphe, le bonhomme le convainc entièrement de l’hypocrisie du personnage, par tout ce qu’il dit ; de sorte que ce même discours fait un effet directement contraire sur ces deux hommes, dont l’un est aussi charmé par son propre récit de la vertu de Panulphe, que l’autre demeure persuadé de sa méchanceté : ce qui joue si bien, que vous ne sauriez l’imaginer. […] Son mari les regarde l’un et l’autre d’un œil de courroux ; et après leur avoir reproché, de toutes les manières les plus aigres qu’il se peut, « la fourbe mal conçue qu’ils lui veulent jouer », enfin, venant à l’Hypocrite, qui cependant a médité son rôle, il le trouve qui, bien loin d’entreprendre de se justifier, par un excellent artifice se condamne et s’accuse lui-même en général et sans rien spécifier, de toutes sortes de crimes ; qu’il est « le plus grand des pécheurs, un méchant, un scélérat ; qu’ils ont raison de le traiter de la sorte ; qu’il doit être chassé de la maison comme un ingrat et un infâme ; qu’il mérite plus que cela ; qu’il n’est qu’un ver, un néant : quelques gens jusqu’ici me croient homme de bien ; mais, mon frère, on se trompe, hélas je ne vaux rien » ! […] Excellente adresse du Poète, qui a appris d’Aristote, qu’il n’est rien de plus sensible, que d’être méprisé par ceux que l’on estime, et qu’ainsi c’était la dernière corde qu’il fallait faire jouer ; jugeant bien que le bonhomme souffrirait plus impatiemment d’être traité de ridicule et de fat par le saint Frère, que de lui voir cajoler sa femme jusqu’au bout ; quoique dans l’apparence première, et au jugement des autres, ce dernier outrage paraisse plus grand. […] Ce caractère est si beau, que je ne saurais en sortir ; aussi le Poète, pour le faire jouer plus longtemps, a employé toutes les adresses de son art. […] À cela près, peu m’importe qui que ce soit qui ait raison : car quoique cette affaire me paraisse peut-être assez de conséquence, j’en vois tant d’autres de cette sorte aujourd’hui, qui sont ou traitées de bagatelles, ou réglées par des principes tout autres qu’il faudrait, que n’étant pas assez fort pour résister aux mauvais exemples du siècle, je m’accoutume insensiblement, Dieu merci, à rire de tout comme les autres, et à ne regarder toutes les choses qui se passent dans le monde, que comme les diverses scènes de la grande Comédie qui se joue sur la terre entre les hommes.