Cela voudrait dire qu’on pouvait et qu’il fallait plutôt se faire misantrope ; à quoi je répondrais que cette résolution, la plus digne assurément d’un honnête homme vaincu dans ce combat, résolution que plusieurs ont prise alors, que beaucoup d’autres sans doute auraient désiré pouvoir prendre, était impraticable pour le plus grand nombre ; soit à cause des diverses relations sociales, ou des raisons trop puissantes d’intérêts particuliers ; soit par le genre ou la dépendance des états ; soit enfin par la disposition actuelle des âmes. […] Pourquoi donc, encore une fois, surtout lorsque notre plus grand intérêt est la garantie de notre attention, prend-on le moyen de nous irriter le plus violemment, pour nous avertir seulement de nous défier des dévots et des autres maîtres ou modèles de morale, leurs condisciples, sous prétexte qu’il y a parmi eux des imposteurs, ou des loups ravissans ? […] Et dans le même temps on disait contre à peu près aussi ce que disent les modernes contradicteurs, tout en rendant justice à l’art et aux talents de nos bons auteurs : que le recueil de ces ouvrages ne contient que des peintures dangereuses des passions les plus entraînantes, que des tableaux corrupteurs ; qu’on y voit l’intérêt sollicité le plus souvent en faveur du crime ; une plaisanterie perfide faisant naître le rire au lieu d’exciter l’indignation ; travestissant les vices en défauts brillants, les travers en agréments, les conventions théâtrales excluant la vraisemblance, le caprice des auteurs dénaturant les faits et les caractères ; des sentiments outrés, des mœurs postiches et des maximes bonnes pour amollir les cœurs et égarer l’imagination.