Pour prouver ce que tant d’Opéras Français avaient si bien prouvé avant vous, que nous n’avons point de musique, vous avez déclaré « que nous ne pouvions en avoir, et que si nous en avions une, ce serait tant pis pour nous. » Enfin dans la vue d’inspirer plus efficacement à vos compatriotes l’horreur de la Comédie, vous la représentez comme une des plus pernicieuses inventions des hommes, et pour me servir de vos propres termes, comme un divertissement « plus barbare que les combats des gladiateurs ». […] Pour nous borner à un seul exemple, quelle leçon plus propre à rendre le fanatisme exécrable, et à faire regarder comme des monstres ceux qui l’inspirent, que cet horrible tableau du quatrième acte de Mahomet h, où l’on voit Seïde, égaré par un zèle affreux, enfoncer le poignard dans le sein de son père ? […] Ainsi elle nous flatte et nous élève tout à la fois, par l’expérience douce qu’elle nous fait faire de la tendresse de notre âme, et par le courage qu’elle nous inspire pour réprimer ce sentiment dans ses effets, en conservant le sentiment même. […] Mais son effet n’est pas pour cela de nous faire préférer le vice au ridicule ; elle nous suppose pour le vice cette horreur qu’il inspire à toute âme bien née ; elle se sert même de cette horreur pour combattre nos travers ; et il est tout simple que le sentiment qu’elle suppose nous affecte moins (dans le moment de la représentation) que celui qu’elle cherche à exciter en nous ; sans que pour cela elle nous fasse prendre le change sur celui de ces deux sentiments qui doit dominer dans notre âme. […] Mais comment allier cette indifférence avec le sentiment si séduisant qu’elles inspirent ?