On ne s’intéresse aux aventures des misérables, ou des personnes de la lie du peuple ; ainsi il faut que le sujet de la Tragédie soit l’action de quelque Roi, de quelque Prince, de quelque Princesse, ou de quelque personne considérable par son rang, ou par ses emplois, parce que les personnes infiniment élevées au-dessus des autres, produisent des effets bien plus étranges, et que leurs malheurs font une plus vive impression sur l’esprit, et causent un plus grand étonnement. […] Les parricides, les incestes doivent être suivis de châtiments proportionnés à la noirceur de ces grands crimes ; mais les disgrâces des personnes moins coupables que malheureuses, font une impression plus douce ; c’est ce qui attire ces larmes de compassion, qui attendrissent l’âme, et qui causent un plaisir si délicat. […] Il est bon qu’il découvre les vicieuses inclinations des personnes, qui ont des sentiments dépravés, de peur que leur mauvais exemple ne fasse impression sur des esprits faibles ; car le penchant naturel incline plutôt les hommes au vice, qu’aux actions vertueuses. […] Il n’est pas nécessaire pour condamner les Comédies, qu’elles soient déshonnêtes, et remplies de sentiments superstitieux ; tout ce qui les accompagne ; la magnificence du spectacle, la manière mondaine, les ajustements des Comédiennes, la compagnie qui s’y trouve, la peinture des passions que l’on tâche d’inspirer à tous les spectateurs, les impressions que ces objets laissent dans l’esprit et dans le cœur des jeunes gens ; tout cela suffit pour rendre l’usage de la Comédie très criminel. […] Ceux qui se vantent d’aller à la Comédie et d’en sortir, sans sentir de mauvaises impressions, ne la justifient pas pour cela ; c’est qu’ils ont déjà le cœur et l’imagination gâtés ; la Comédie ne fait autre chose, que de les entretenir dans leurs mauvaises habitudes.