Telle est, Monsieur, la triste destinée de l’homme jusque dans les plaisirs même ; moins il peut s’en passer, moins il les goûte ; et plus il y met de soins et d’étude, moins leur impression est sensible. […] Le spectacle est au contraire celui de tous nos plaisirs qui nous rappelle le plus aux autres hommes, par l’image qu’il nous présente de la vie humaine, et par les impressions qu’il nous donne et qu’il nous laisse. […] La Tragédie suffit aux âmes plus délicates et plus sensibles ; quelquefois même, comme dans Médée et dans Atrée, l’impression est trop violente pour elles. […] Vous convenez que c’est l’objet de nos Tragédies ; mais vous prétendez que l’objet est manqué par les efforts même que l’on fait pour le remplir, que l’impression du sentiment reste, et que la morale est bientôt oubliée. […] Sans force de corps, sans talents, sans étude qui puisse les arracher à leurs peines, et les leur faire oublier quelques moments, elles les supportent néanmoins, elles les dévorent, et savent quelquefois les cacher mieux que nous ; cette fermeté suppose en elles, ou une âme peu susceptible d’impressions profondes, ou un courage dont nous n’avons pas l’idée.