Cependant dans ces premiers Poèmes dramatiques, ainsi que dans ces derniers, l’Auteur se proposait pour but principal de plaire à ses Spectateurs : car soit qu’il voulut les corriger, soit qu’il voulut simplement les amuser, il est certain qu’il ne pouvait réussir ni dans l’un ni dans l’autre de ces projets, qu’en faisant sur leurs esprits une impression, qui leur rendit aimables ou ses leçons ou ses jeux ; si quelques Poètes n’ont pû arriver à ce but ce n’est point la faute du Théâtre, mais uniquement de l’Auteur ou de l’Acteur, comme on va tâcher de le faire sentir. […] Le Spectacle du Théâtre est le seul qui embrasse et qui excite toutes les affections et toutes les passions du cœur humain ; il y a telle représentation qui inspire la joie, la tristesse, la colère, l’amour, les larmes et les rires ; et tous ces mouvements s’emparent bien souvent dans un seul jour du cœur des Spectateurs, jusqu’à leur faire sentir toutes ces différentes impressions à la fois. […] Les uns et les autres ont compris sans doute, que les Poètes dramatiques sont en possession d’inspirer dans le cœur des Spectateurs telles passions qu’il leur plaît : et que l’objet unique des Acteurs est de donner à l’impression de ces passions toute la force et toute la vivacité dont leur art est susceptible. Sans examiner s’il est utile ou dangereux d’agiter le cœur humain jusqu’à ce point, ni le risque évident que courent ceux qu’on fait subitement passer d’un état de tranquillité et de repos à celui d’inquiétude, de colère, ou de toute autre passion : sans, dis-je, examiner ces points, je me bornerai seulement à parler de la passion d’amour, que je vais comparer dans la Tragédie du Cid à toutes les autres impressions que cette même Pièce peut inspirer. […] La passion d’amour fait impression sur tous les hommes, et non seulement une impression vive, prompte et indélibérée, mais encore une impression durable et permanente, pendant que les autres passions ne font qu’une impression passagère, comme si la passion d’amour, plus homogène et naturelle à l’homme, tenait de plus près que toute autre à l’humanité.