J’ai lu quelque part, que les Lacédémoniens firent une Loi, par laquelle il était ordonné, que lorsqu’un mauvais Citoyen aurait ouvert un bon avis, avant de le communiquer à toute l’assemblée du Peuple, on devait faire répéter la même chose à un homme vertueux ; & quoique celui ci n’eût pas été capable de l’imaginer, c’était néanmoins de sa part qu’on la proposait à la multitude : « De peur, ajoutait le divin Législateur de Sparte, qu’une maxime sage, un decret utile ne parussent sortir d’une source impure, & que par cette raison, on ne se crût autorisé à y déroger. » J’ai trouvé cette conséquence si juste, qu’elle va servir de fondement au Projet de Réforme que je propose pour le Comédisme : nous ferons passer par le canal de bouches innocentes, les sentimens d’honneur, les maximes de grandeur d’âme, d’humanité, de fidélité, que nous voudrons inspirer à la Nation. […] J’ai remarqué, que dans la lecture du Sonnet d’Oronte dans le Misanthrope, la disposition des personnages était vicieuse, & je ne crois pas que l’on puisse en disconvenir ; j’imagine que pour y remédier, il faudrait les placer autrement, & même changer entièrement leur situation : par exemple, qu’ils fussent assis durant la lecture, & qu’une table séparât Oronte d’Alceste & de Philinte ; Oronte un peu en avant ; Alceste, impatient & distrait, tout près de Philinte, &c. […] Des Etres fantastiques, tels que les Dieux & les Magiciens, peuvent causer de l’étonnement, exciter l’admiration ou la terreur ; mais jamais ils n’intéresseront : j’imagine, que par cette raison même, la Fable & les Romans merveilleux sont plus propres que l’Histoire à fournir les sujets des Opéras : outre qu’un Poème où de véritables Héros agiraient, est trop fort de choses, il est contre l’idéalité que Cyrus, Artaxerxe, Alexandre agissent, parlent & meurent en chantant : au lieu que n’ayant que des idées extraordinaires des personnages imaginaires, nous leur supposerons plus facilement une manière de s’exprimer tout-à-fait différente de la nôtre : en outre, le Poème n’ayant par lui-même que très-peu d’intérêt relatif, il sera tel qu’il doit, être, pour que le Musicien ait sa tâche tout entière, & ne soit pas réduit à la nécessité de briller tour-à-tour avec le Poète : la Musique chez nous donnera seule le pathétique, & même l’intérêt ; c’est-à dire, que ces affections ne seront que dans la manière de s’exprimer, prêtée par le Musicien à des Etres indifférens par eux-mêmes à l’humaine nature : par ce moyen chaque langage aura sa partie distincte ; le Poète, la pensée, les situations, le tissu de l’action ; le Musicien, le mouvement & l’expression. […] Lorsque l’Auteur a dessiné, imaginé, créé, c’est à l’Acteur à constituer un corps à des beautés muettes ; c’est de lui que la Représentation doit recevoir l’importance, l’intérêt, & l’agrément. […] J’imagine qu’il serait aisé à un homme de génie de le rendre tout-à-fait naturel : que le Musicien fasse déclamer par un excellent Acteur ; qu’il note couramment tout le senti de la Déclamation, pour lui servir de cannevas, & qu’ensuite il ajoute seul la sonorité, les adoucissemens, l’harmonie ; voila le Récitatif le plus approchant de la parole, le plus intelligent, le plus propre pour l’exposition, & le plus convenable dans la bouche d’un Héros expirant.