Ma première idée avait été de faire l’examen de presque toutes les Tragédies du Théâtre Français : je voulais les placer chacune dans des classes différentes ; en distinguant celles que je conserve telles qu’elles sont ; celles que je conserverais, si elles étaient corrigées ; enfin celles que je rejette. Mais, de crainte d’ennuyer par un détail trop long, car je crois que cet examen seul ferait la matière d’un gros volume, je me suis restreint à un petit nombre de Pièces, qui suffiront cependant pour donner une idée des trois genres différents, sous lesquels les Drames de tous les Théâtres de l’Europe peuvent se ranger. Si, dans les ouvrages de belles Lettres, les Savants ont soin de laisser au Lecteur intelligent le moyen d’occuper son esprit, soit en devinant, ou même en ajoutant quelque fois aux idées qui lui sont présentées, et que l’Auteur, dans cette intention, n’aura pas tout à fait développées, j’ai cru que je ne pouvais rien faire de mieux que d’imiter une conduite également sage et utile ; parce qu’elle ne dérobe rien au Lecteur ignorant (pour qui il y en a toujours assez) en même temps qu’elle procure un vrai plaisir au Lecteur de génie et de goût, qui est bien aise de pouvoir mettre quelque chose du sien à sa lecture. […] 10 La fameuse querelle que cette Ecrivain eut dans ce temps là avec le Tasse et ceux de son parti, est assez connue des gens de Lettres : avec ce secours je me défiais moins de ma raison, quoique j’ai toujours cru que je devais avoir plus de ménagement qu’un autre en écrivant ; et c’est par ce motif que je n’ai jamais expliqué ouvertement mes idées. […] La matière est vaste et demanderait un ouvrage complet : le jugement que les gens d’esprit et connaisseurs porteront du peu que je viens de dire sera mon guide, et me confirmera dans mes idées, si on les approuve ; ou me les fera rejetter, si on juge que je me sois trompé.