Car celui-ci se sentant attendrir, se ravise tout d’un coup, et se disant à soi-même, croyant faire une chose fort héroïque : « Ferme, ferme, mon cœur, point de faiblesse humaine ». […] Or tous les galants qui se servent des mêmes persuasions que Panulphe, sont en quelque degré dissimulés et hypocrites comme lui ; car il n’en est point qui voulût avouer en public les sentiments qu’il déclare en particulier à une femme qu’il veut perdre : ce qu’il faudrait qui fût, pour qu’il fût vrai de dire, que ses sentiments de tête-à-tête n’ont aucune disconvenance avec ceux dont il fait profession publique, et par conséquent aucune indécence ni aucun ridicule : et le premier fondement de tout cela est ce que j’ai établi dès l’entrée de cette réflexion, que la providence de la Nature a voulu que tout ce qui est méchant eût quelque degré de ridicule, pour redresser nos voies par cette apparence de défaut de raison, et pour piquer notre orgueil naturel, par le mépris qu’excite nécessairement ce défaut, quand il est apparent comme il est par le Ridicule : et c’est de là que vient l’extrême force du ridicule sur l’esprit humain, comme de cette force procède l’effet que je prétends. […] Or cette connaissance d’être plus qu’un autre est fort agréable à la Nature ; de là vient que le mépris qui enferme cette connaissance est toujours accompagné de joie : or cette joie et ce mépris composent le mouvement qu’excite le Ridicule dans ceux qui le voient ; et comme ces deux sentiments sont fondés sur les deux plus anciennes et plus essentielles maladies du genre humain, l’orgueil et la complaisance dans les maux d’autrui, il n’est pas étrange que le sentiment du Ridicule soit si fort, et qu’il ravisse l’âme comme il fait ; elle qui se défiant à bon droit de sa propre excellence depuis le péché d’origine, cherche de tous côtés avec avidité de quoi la persuader aux autres et à soi-même par des comparaisons qui lui soient avantageuses, c’est-à-dire par la considération des défauts d’autrui.