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80. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre IV. Christine de Suede. » pp. 111-153

Le règne de la Suédoise d’abord heureux par la sagesse des Ministres de son père, pendant sa minorité n’étoit plus rien depuis qu’elle avoit pris les renes du gouvernement, elle faisoit jouer des comédies, n’avoit à sa Cour que des bouffons pour s’amuser & des savans pour lui donner un air de savante. […] Christine avoit des bonnes qualités, elle étoit capable de grandes choses, il y avoit en elle de quoi faire un bon Roi ; les premières années de son règne furent heureuses, son père dans son testament lui donna pour tuteurs cinq Ministres habiles qui gouvernèrent sagement & glorieusement. […] Si Christine n’avoit point connu le théatre, elle eut été heureuse, & eut rendu ses peuples heureux. […] Il ne reste de cette Savante que quelques bons mots qu’on a retenu, & des lettres dont on a fait un recueil, il y a des traits ingénieux, des réparties vives, quelques réflexions judicieuses, quelques tours heureux. […] De tous les forfaits, ce sont les plus impardonnables ; Christine l’en punit cruellement à son second voyage en France, elle fit poignarder à Fontainebleau son malheureux Écuyer, tel fut le Comte d’Essex auprès d’Elisabeth d’Angleterre ne faisant sa Cour, ne servant les amours de la Reine, que par ambition & pour faire sa fortune ne l’aimant point & la tournant en ridicule, ils périrent tous deux avec cette différence que le premier, homme de naissance, guerrier, habile & heureux, revêtu des plus grandes charges de l’État, ajoutant la révolte au mépris, mérita la condamnation des Tribunaux & périt sur un échaffaud : le sécond homme obscur & sans mérite fut traité sans formalité, Christine le fit poignarder sans lui faire le procès ni écouter sa justification, sur je ne sais quel rapport ou soupçon d’infidélité.

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