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75. (1769) Réflexions sur le théâtre, vol 8 « Réflexions sur le théâtre, vol 8 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE HUITIEME. — CHAPITRE VII. Du Père Porée. » pp. 149-177

Il rendit tout galant : des Héros il en fit des femmes. […] Les Héros & les Héroïnes, les Dieux & les Déesses viennent y soupirer leur amour. […] Ils défigurent l’histoire & la géographie par les pays & les événemens, & les Héros fabuleux qu’ils y mêlent ; le poëme épique, par le faux merveilleux & les épisodes d’amour qu’ils y introduisent ; le théatre même, par des amours & des intrigues absurdes, comme dans Britannicus, Bajazet, Alexandre, Phèdre, Mitridate, vice intrinseque, dont on ne le corrigera qu’en le faisant renaître de ses cendres ; l’éloquence, par des narrations traînantes qui ne finissent point, des descriptions fardées de lieux enchantés, des discours fastidieux de flatterie & de tendresse, pleins de frivolité & de petites fleurs d’élocution qui n’ont aucun sel, mais beaucoup de poison. […] Dangers extrêmes, dont on ne se tire que par quelque ridicule miracle ; valeur bien différente de celle des Héros Grecs & Romains, qui ne combattoient que pour la patrie, ceux-ci contre les droits de l’humanité, les lumieres de la raison, les préceptes de la religion, les intérêts de la patrie, les ordonnances du Prince, vont en insensés répandre leur sang, & faire couler celui des citoyens. […] On se retire dans un désert, on s’ensevelit dans un cloître, pour éviter les dangers du commerce du monde, & à peine l’asyle de la solitude met à l’abri les Héros Chrétiens, l’iniquité naît par-tout, les austérités ne désarment pas ennemi, il faut éternellement être en garde contre son propre cœur, & ce qu’il y a de plus foible croit pouvoir se jeter au milieu des plus grands ennemis !

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