Il est donc certain que la partie du public, dont le goût est invariablement décidé pour le vrai, l’utile et le beau, n’a fait dans tous les temps que le très petit nombre, et que la foule se décide pour l’extravagant et l’absurde ; ainsi, loin de disputer à la farce les succès dont elle jouit, j’ajouterai que dès qu’on aime ce spectacle, on n’aime plus que celui-là, et qu’il serait aussi surprenant qu’un homme qui fait habituellement ses délices de ces grossières absurdités, fût vivement touché des beautés du Misanthrope et d’Athalie, qu’il le serait de voir un homme, nourri dans la débauche, se plaire à la société des honnêtes femmes. […] L’esprit a son libertinage et son désordre ; il doit se plaire naturellement où il est le plus à son aise, et le plaisir machinal et grossier qu’il y prend sans réflexion, émousse en lui le goût des choses simples et décentes. […] La farce n’exerce ni le goût ni la raison : de là vient qu’elle plaît à des âmes paresseuses ; et c’est, pour cela même, que ce spectacle est pernicieux ; s’il n’avait rien d’attrayant, il ne serait que mauvais. […] Le public comprend trois classes : le bas peuple, dont le goût et l’esprit ne sont point cultivés, et n’ont pas besoin de l’être, mais qui, dans ses mœurs, n’est déjà que trop corrompu et n’a pas besoin de l’être encore par la licence des spectacles ; le monde honnête et poli, qui joint à la décence des mœurs une intelligence épurée et un sentiment délicat des bonnes choses, mais qui lui-même n’a que trop de pente pour des plaisirs avilissants ; l’état mitoyen, plus étendu qu’on ne pense, qui tâche de s’approcher, par vanité, de la classe des honnêtes gens, mais qui est entraîné vers le bas peuple par une pente naturelle.