Un malheur déconcerta sa pruderie & sa dignité, le feu prit à sa maison pendant la nuit, & troubla fort mal-à-propos les douces occupations de la famille, composée de huit personnes. […] Le feu avoit attiré bien du monde qui servit avec édification, à les arracher au double incendie qui les alloit consumer. […] Mais comme tout est dans le monde de peu de durée, ce bel édifice de planche & de carton, a été démoli de fond en comble, après la fête : des feux d’artifice, des brillantes illuminations avec des lampes de verre de différentes couleurs, qu’on avoit fait faire pour le Roi de Dannemarc. […] La ville de Verone dont il a écrit au long l’histoire, idolâtroit son citoyen, entr’autre hommage, elle lui dressa une statue avec cette inscription simple, mais profonde, au Marquis Maffei vivant, elle est dans le goût de celle que Montpellier dressa au feu Roi, à Louis XIV après sa mort ; l’une & l’autre idée est également vive, la flatterie ne loue guere après la mort un Prince qu’on n’a plus intérêt de ménager, l’envie ne souffre guere qu’on loue pendant la vie un grand homme qui peut effacer ses rivaux, la vérité seule dicte ces éloges, Maffei eut la modestie de faire ôter la statue de la salle de l’Académie où on l’avoit placée, & où on la remise après sa mort, ce trait lui fait honneur, on doit, dit-on, en ériger une à Voltaire dans la salle du spectacle, avec la même inscription à Voltaire vivant, je doute qu’il la refuse, il y a même bien de l’apparence qu’il a mis une bonne somme dans la souscription que ses amis ont ouverte pour fournir aux frais. […] Au jour marqué, parurent sur la riviere d’Arne, un grand nombre de barques chargés d’échafauts, & de personnages qui représenterent l’enfer : on y voyoit du feu, des roues enflammées, divers autres genres de supplices : parmi quantité de dragons & de serpens monstrueux, on voyoit des hommes, dont les uns portoient des figures horribles, des démons ; les autres tous nuds pour représenter les ames des damnés, jettoient des cris & poussoient des hurlemens aussi affreux que s’ils avoient été en effet dans les tourmens ; mais rien ne pouvoit être plus tragique que ce qui termina cette scene : au moment que le peuple, avide de ces folles représentations, paroissoit le plus attentif, le pont construit de bois, se trouvant trop chargé, tomba tout à coup : tous ceux qui étoient dessus, furent précipités dans les eaux ; & plusieurs y périrent : ceux qui se sauverent, furent la plupart estropiés & toute la ville dans la désolation.