Elle fait encore un effet plus malin sur le cœur que sur l’esprit, car si elle gâte ce dernier, elle corrompt l’autre en y excitant les passions et les remuant avec d’autant plus de promptitude et de vivacité, qu’elle y trouve de correspondance, c’est là son but et sa fin principale, c’est ce qui lui attire les applaudissements des spectateurs, la plupart acteurs secrets dans la pièce ; autrement ils s’ennuient, ils languissent, ils s’endorment, et comme dans la lecture ou le chant des Psaumes, on entre dans tous les mouvements et les saintes passions du chantre sacré, qu’on prie avec lui, qu’on gémit, qu’on se réjouit, qu’on passe de l’espérance à la crainte, de la tristesse à la joie, des plaintes aux remerciements, de la frayeur à l’assurance, du trouble à la paix, ici on entre encore plus naturellement dans les divers mouvements des acteurs introduits sur la Scène, le lecteur ou le spectateur est transporté hors de lui-même, tantôt il se sent le cœur plein d’un feu martial, et s’imagine combattre, tantôt agité de mouvements plus doux, il est amoureux, il estime, il craint, il désire, il n’y a point de passion dont il ne sente les atteintes et les émotions. […] Cette passion insensée qui fait des ravages incroyables dans le monde, ce feu d’enfer qui enflamme le cercle de la vie de la plupart des enfants d’Adam, l’impureté dont saint Paul ne veut pas que le nom même soit prononcé parmi des Chrétiens, parce que son image est contagieuse, ou si l’on est obligé d’en parler, ce ne doit être qu’avec horreur, qu’en la flétrissant, la traitant avec exécration comme une maladie honteuse qui ravale l’homme à la condition des bêtes, ce vice, dis-je, y est transformé en vertus, il est mis en honneur et en crédit, regardé comme une belle faiblesse dont les âmes les plus héroïques ne sont pas exemptes, et qui leur sert d’aiguillon pour entreprendre les choses les plus difficiles, on s’y remplit du plaisir qu’on se figure à aimer et à être aimé, on y ouvre son cœur aux cajoleries, on en apprend le langage, et dans les intrigues de la pièce les détestables adresses que l’auteur suggère pour réussir, or n’est-ce pas là une idolâtrie dont se souille le cœur humain ? […] A l’image animée de ces passions, il ne manque guère de s’en élever de pareilles du fond de corruption qui est en nous, tel est l’empire d’une représentation vive sur le cœur humain, lorsqu’elle est accompagnée de discours passionnés, tout y concourt, la déclamation, le port, la geste, les ajustements, la symphonie, n’est-ce pas là jeter de l’huile sur du feu, et aplanir le chemin à un torrent ? […] , la nudité, les gestes, les airs lascifs des comédiens et comédiennes qui soit contraire à la modestie, supposé que les personnes qui y assistent ne puissent inspirer l’esprit du monde et de la vanité qui éclate dans leur parure, leurs actions, et tout leur maintien extérieur, supposé que tout ce qui s’y passe, les vers tendres et passionnés, les habits, le marcher, les machines, les chants, les regards, les mouvements du corps, la symphonie, les intrigues amoureuses ; enfin que tout n’y soit pas plein de poison, et semé de pièges, vous devez pourtant vous abstenir d’y aller, (je parle toujours avec saint Chrysostome) car ce n’est pas à des Chrétiens à passer le temps dans la joie, aux Disciples d’un Dieu homme qui n’a jamais pris sur la terre le moindre divertissement, à qui le rire a été inconnu, qui a donné au contraire sa malédiction à ceux qui rient, que l’Athlète qui étant dans la lice tout prêt d’en venir aux mains avec son adversaire, quitte le soin de le combattre pour prêter l’oreille à des folies, le démon nous attaque et tourne de tous côtés pour nous dévorer, il n’y a rien qu’il ne tente pour surprendre, il grince des dents, il rugit, il jette feu et flamme, et vous vous arrêtez tranquillement à ouïr ces extravagances, pensez-vous que ce soit par là que vous le surmonterez ?