J’ai pensé, comme madame Des Tianges, que Riccoboni se trompait, en croyant avoir fait beaucoup par la suppression de l’amour dans les Pièces : outre qu’elle ôterait l’intérêt, elle serait même insuffisante : cette passion est un feu qui brûle dans tous les cœurs ; à laquelle tout sert d’aliment : on ne la propage pas, en lui fournissant de la matière ; on ne l’éteint pas, en la renfermant, en la concentrant : voyez ce dévot toujours en garde sur lui-même, dont les yeux se détournent & l’oreille se ferme à toute obscénité ; qu’y gagne-t-il ? […] Ainsi les peintures de l’amour sont peu dangereuses pour les mœurs ; elles usent ce sentiment ; c’est de la paille dans le feu, qui s’allume, jette un éclat vif, & s’éteint : mais, l’effet des Pièces où l’amour fait le principal rôle, fût-il certain sur toutes sortes de personnes ; dans tous les âges, cette passion a l’avantage de pouvoir être tournée vers un but honnête ; elle est, tout considéré, la moins dangereuse de toutes pour les bons naturels : en peut-on dire autant de la vengeance, de l’ambition, que le Réformateur n’exclut pas du Théâtre ? […] J’observe en passant, que c’est à la France, & non à l’Italie, que sont dues les premières étincelles de ce feu créateur qui ranima les arts : il semble que la Provence, autrefois peuplée de Grecs à son extrémité, contînt les germes enfouis des Sciences, qui ne demandaient qu’une influence favorable pour se développer. […] Il n’écumera pas ; il ne se mouvra pas comme par ressorts ; il ne mugira pas ; on ne verra pas un éclair terrible, suivi d’un petit coup de tonnerre : il mettra du feu, du pathétique, du déchirant, mais sans rien outrer. […] Ces Gladiateurs nommés Pegmates, combattaient dans l’arène sur des Théâtres élevés, faits de manière qu’ils s’entr’ouvraient comme par machine, & précipitaient ces malheureux dans des lieux où ils trouvaient des bêtes farouches qui les dévoraient, ou des feux qui les consumaient.