On a vu Voltaire, luttant à chaque nouveau chef-d’œuvre contre la foule des envieux & des fanatiques, forcé de ménager des Courtisans qu’il méprisoit, déplorant la pusillanimité de ses Concitoyens, disant la vérité par vocation, par besoin, par enthousiasme pour elle, se rétractant, se reniant lui-même pour échapper à la persécution ; admiré sans doute, mais dénigré, mais haï, mais enfermé deux fois dans les cachots de la Bastille, exilé, contraint de vivre éloigné de sa patrie, osant à peine venir expirer dans cette ville qui se glorifie de l’avoir vu naître, jouissant des honneurs d’un triomphe, & trouvant à peine un tombeau ; avant ce dernier opprobre poursuivi, pendant trente années, jusqu’au pied du Mont-Jura, par des mandemens & des réquisitoires ; flattant sans cesse & les Flatteurs & les Maîtresses du feu Roi ; & laissant à la postérité, avec un exemple de force, un exemple de foiblesse, qui déposera moins contre lui, que contre son siècle, in ligne encore, à bien des égards, d’être éclairé par un si grand homme. […] De quels traits de feu n’eût-il pas sû peindre les usurpations & les fureurs du Sacerdoce ; l’établissement de l’Inquisition ; les forfaits d’un Alexandre VI ; les guerres longues & sanglantes que le Fanatisme-allumoit, tour-à-tour, dans tous les coins de l’Europe ; des millions d’hommes égorgés pour des querelles Théologiques ; &, malgré tant d’atrocités, les Peuples courbant toujours la tête sous un joug imbécille & cruel, que leur sang avoit tant de fois rougi !